Aventures, Drame, Roman noir

Panier de crabes

Chronique de Panier de crabes, de Laurence Biberfeld.

« Je piochais ainsi dans les jours heureux des fragments d’éternité, étonnée de cette évidence qu’on ne peut pas détruire le bonheur une fois qu’il est advenu, pas plus qu’on ne peut neutraliser le malheur tant qu’on a de la mémoire. Et si je recherchais l’un avec prédilection dans les moments de repos, avant le sommeil et en me réveillant, l’autre s’imposait quotidiennement à moi tandis que je marchais. »

Laurence Biberfeld, Panier de crabes, Éditions In8, 2021, p. 15-16.

Motivations initiales

En consultant, comme je le fais une fois de temps en temps, le site des Éditions In8, je suis tombé sur ce livre et sa présentation. Et j’ai eu envie de le découvrir. « Radical », « audaces ébouriffantes », « humaniste », « poétique » : comment tout cela se conjugue-t-il dans cette novella ?

Synopsis

La catastrophe est arrivée. Quelle catastrophe ? On l’ignore, mais, après tout, aucune importance. Seules comptent les conséquences : une France au bord de la guerre civile, qui n’est plus approvisionnée, entreprises fermées pour la plupart. Pénuries en cascade : plus de carburant, plus d’électricité… Tout s’effondre. Face à cette situation, certains se sont refermés sur eux-mêmes, et protègent ce qu’ils possèdent encore ; d’autres, sous la forme de bandes, sont en errance.

Myriam fait partie d’un de ses groupes, les Sans Clôture. Après avoir appris qu’elle souffre d’un cancer du poumon, après que son fils se soit suicidé en prison, elle a d’abord rejoint sa mère, dans le Poitou, mais, à l’issue d’une violente altercation, elle repart, alors que le groupe arrive dans la région : elle décide alors de les accompagner. À l’occasion de leurs déplacements, ils coupent les barbelés et libèrent les animaux des élevages, condamnés par millions à la mort, abandonnés par les exploitants.

Dans cette fuite sans but, Myriam repasse sa vie en revue. Nathan, son ex, et son fils Ben, qui ont tous les deux été jetés en prison pour avoir violée une fillette de 13 ans. Colère, culpabilité : elle n’a rien vu, lorsque son fils, à 15 ans, a décidé d’aller vivre avec son père, et que celui-ci l’a abreuvé de porno, détruisant sa vie…

Avis

Certains livres vous donnent l’impression de recevoir un coup de poing. Mais il s’agit encore d’une expression trop facile pour décrire ce Panier de crabe. Pour conserver une métaphore pugillistique, ce livre serait plutôt celui de l’effondrement du boxeur qui, après avoir encaissé un crochet au foie, tombe comme un sac de sable.

Et en effet, tout s’affaisse : le monde autour de Myriam, le corps de Myriam, attaqué par ce crabe qui s’est installé dans son poumon, la vie de Myriam. La déliquescence est autant interne qu’externe, intime et sociale.

En même temps, alors que l’on pourrait s’imaginer que, dans une situation aussi critique, dans laquelle on voit errer des bandes armées, les hommes seraient les plus dangereux. Mais, en réalité, et assez curieusement, non : finalement, les plus redoutables, ce sont les animaux. Un cerf, des chiens errants, s’avèrent constituer un risque plus grand pour la survie des Sans Clôture. Comme un pied de nez de la nature envers ses humains qui l’ont si mal traitée précédemment.

La plume de l’auteure est souvent incisive, clinique. Elle tient à distance. Et la mort, qui traverse ces pages, n’est qu’un aléa. Décrite sobrement, elle parait sans pathos, presque apaisante. Pour Suzy, son amie et collègue, diabétique, nous est seulement décrit le moment où elle tombe dans le coma. Solivette, une membre du groupe des Sans Clôture, s’éteint dans la forêt. Et enfin Gabin, comme un fils adoptif – et pour cause -, qui lui aussi se meurt d’un cancer, et qu’elle accompagne.

Cela donne au contraire lieu à des descriptions d’une poésie vibrante, comme pour Solivette :

« Nous longions alors une grande forêt de hêtres, et je me dis que l’ambiance de ces sous-bois, avec les immenses troncs argentés qui semblaient les piliers d’une voûte invisible, fusant d’un sol cuivré par leurs feuilles, feraient la plus majestueuse des chapelles pour la veiller. Nous nous enfonçâmes dans ce sépulcre végétal sempiternellement dans la pénombre, bruissant de mystérieuses conversations. Solivette s’y éteignit comme une bougie le lendemain. »

Mais qui a dit que les adverbes étaient à éviter ? Ce « sempiternellement », où pourrait-il être mieux employé ?

Et puis… et puis il y a la scène finale, alors que Gabin meurt, et qui devrait être le coup fatal pour Myriam. Et – là encore, quelle ironie – c’est comme si ce coup qui aurait dû l’abattre était finalement celui qui la sauve.

La construction est imparable. La langue, ciselée. Et finalement, plus la violence est directe, plus elle est supportable, et plus elle est muselée, plus elle est dévastatrice. Voilà un livre qui va me laisser une impression durable… et que je vous invite toutes et tous à découvrir !

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