Drame, Roman noir

Vivement la guerre qu’on se tue

Chronique de Vivement la guerre qu’on se tue, de Vincent Courcelle-Labrousse.

« L’escorte de Monchalin se disloqua, laissant son champion isolé. L’énorme Monchalin fit encore un pas, en même temps que l’écaille de sa peau faisait se tourner ses yeux jaunes sur Béresse.

Deux animaux non répertoriés se trouvaient face à face : c’était les Galapagos. Mais il n’y avait pas de danger immédiat : ces deux espèces ne frappaient que dans le dos.

D’ailleurs, Béresse s’approchant de Monchalin lui tendit la main. Lequel, d’un pas lourd, avança et donna à son tour la sienne. Ils étaient maintenant l’un contre l’autre. Ils se parlaient à l’oreille. Ils étaient amis en réalité ? »

Vincent Courcelle-Labrousse, Vivement la guerre qu’on se tue, Slatkine & Cie, 2022, p. 183.

Motivations initiales

Ayant, grâce aux équipes de Slatkine & Cie, l’occasion de découvrir ce livre au titre qui interpelle… tout autant qu’un sujet qui est rarement l’objet d’un roman… fut-il noir.

Synopsis

Roman noir, en effet, de la justice française, nous est-il indiqué en 4e de couverture. Dans ces années 70, un basculement se prépare. Alors que la France n’a pas terminé de tourner la page du Régime de Vichy, qu’elle commence seulement à affronter les conséquences durables des « événements d’Algérie » (comme on les appelle pudiquement), « La France a peur », annonce Roger Gicquel en ouverture du journal télévisé de TF1.

Robert Badinter, pendant ce temps, commence son long combat contre la peine de mort. Alors qu’il vient d’éviter à Patrick Henri, coupable d’infanticide, la guillotine, le débat fait rage en France entre pro et les anti-peine capitale.

Ce débat, qui traverse la société, n’épargne pas la magistrature elle-même. Alors que parmi les anciens, on compte encore ceux qui, hier, étaient juges sous Pétain ou dans les colonies, la lutte, toute feutrée qu’elle soit, n’en est pas moins féroce. Intimidations, coups bas, et, parfois, recours à la violence physique pouvant aller jusqu’à l’assassinat : tout semble permis à la seule condition de ne pas être pris !

Pierre Journiac, un procureur qui, au vu de son passé en Algérie, se voit coller par les deux camps une étiquette sous laquelle il ne se reconnait pas lui-même, se trouve pris entre deux feux. Quel choix sera le sien ?

Avis

L’auteur ne s’est pas emparé par hasard de ce sujet : avocat au barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence des Avocats du Barreau de Paris, il avait déjà publié, avec Nicolas Marmié un livre historique sur la Guerre du Rif, montrant que les affaires coloniales constituent un sujet important pour lui. Car, dans ce « roman » – j’y reviendrai -, l’Algérie et les conséquences, dans la société française, de la guerre d’Algérie ont une place centrale.

L’auteur, donc, est un spécialiste du sujet, qui voit les choses de la justice de l’intérieur. Il est probable que les lecteurs, eux, seront bien moins au fait du fonctionnement de cette institution. En tout cas, pour ma part, cela ne fait aucun doute. J’ignorais totalement l’existence de cette fameuse Conférence dont l’auteur a été secrétaire, je n’aurais probablement pas su définir précisément la différence entre magistrats du siège et magistrats du parquet. Bref, ce livre est pour moi l’occasion de découvrir un monde qui m’est pour l’essentiel inconnu.

Si l’on m’avait demandé de dire, entre ces années 70 et notre époque, quelle période était la plus violente, j’aurais probablement dit, sans hésiter, que c’étaient ces dernières années. Pourtant, le livre le montre, certains n’hésitaient pas à faire assassiner des membres des forces de l’ordre pour pousser leurs idées.

Ce livre est donc incroyablement instructif… même si ce que l’on y découvre n’est pas forcément rassurant quand à l’institution judiciaire. Je n’avais pas conscience à quel point des hommes qui s’étaient compromis à Vichy avaient continué à tracer leur route dans une France qui, tondant quelques femmes dont on pouvait supposer qu’elles ne pourraient rien faire, a laissé ceux qui étaient aux affaires poursuivre leurs petites affaires.

La citation choisie le dit assez clairement : ce sont de grands fauves qui s’affrontaient, quitte à abandonner sur le terrain le cadavres de ceux qu’ils broyaient au passage. Ces luttes de pouvoir peuvent-elles avoir disparu avec les générations qui ont suivi ? Probablement pas, même si les moyens ont certainement évolué. Les antichambres du pouvoir restent, à n’en pas douter, des lieux dangereux, que l’on n’arpente pas impunément…

Extrêmement instructif, donc, ce livre ne s’adressera cependant pas forcément à tous les publics. En effet, s’il y avait un « reproche » à lui adresser, ce serait de ne pas avoir choisi entre deux formes, celle du roman, et celle de l’enquête. Certains passages appartiennent clairement au premier genre, autour de la vie de Pierre Journiac. Mais d’autres passages sont davantage de l’ordre de la seconde. Et ce non-choix fait que l’on peut avoir l’impression de rester un petit peu à côté de l’intrigue qui nous est présentée.

Ce livre est donc très riche d’enseignements sur ce milieu clos, mais je ne le recommande pas à toutes et tous. Si vous cherchez plutôt une histoire qui vous embarque, un suspense qui vous fait tourner les pages sans reprendre haleine, ce livre n’est peut-être pas pour vous. Mais pour les autres, rendez-vous au prétoire !

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

1 réflexion au sujet de “Vivement la guerre qu’on se tue”

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