Chronique de L’ange rouge, de François Médéline.
« J’ai rejoint mon véhicule. J’ai allumé le radio-cassette. Fréquence Jazz. Piano. Duke Ellington. J’ai rêvé. J’ai fumé. J’étais conscient ou endormi. J’ai ouvert les yeux. La fenêtre était éteinte. Toutes les fenêtres étaient éteintes. J’ai vu : Thierry. J’ai vu : Alexandra. J’ai vu : la fille.
J’ai senti la fille. J’ai embrassé la fille. Je l’ai étreinte. J’étais conscient ou endormi. Elle était nue. Elle avait la voix de Thierry. Les seins d’Alexandra. Les hanches rondes d’Alexandra. »
François Médéline, L’ange rouge, Éditions Points, 2022, p. 308.
Motivations initiales
Livre reçu à l’occasion de la rencontre avec l’auteur organisée par les Éditions Points et Page des libraires durant Quais du polar, que nous avons eu l’occasion de relater précédemment. Bonne occasion de découvrir François Médéline. La lecture s’est faite avant la rencontre, mais n’apparait que maintenant, parce que nous avions un peu d’avance dans nos lectures…
Synopsis
1997, Lyon. Un cadavre, crucifié, la peau du visage arrachée, les parties génitales sectionnées, une orchidée dessinée sur le corps, est retrouvé sur un radeau. L’enquête est confiée à l’équipe dirigée par le commandant Dubak, qui s’en étonne, habituellement les deux autres équipes étant privilégiées par la hiérarchie. Un fait divers aussi spectaculaire attire naturellement les regards : la presse se fait rapidement insistante. Le chef d’un des autres groupes d’enquête aussi : le principal suspect lui a échappé dans une autre affaire, il n’hésite pas à mettre la pression sur ses collègues.
Mais faut-il rechercher en priorité du côté des marginaux ? Suivre la piste politique de l’opposition entre anarchistes et extrême-droite ? Est-ce du côté des milieux artistiques que la solution se trouve ?
Une seule chose est sûre : Alain Dubak et son équipe, Mamy, Véro, Laurent, Joseph, Abdel et Thierry, n’ont pas droit à l’erreur !
Avis
L’enquête qui est confiée à Dubak et à son groupe, c’est du lourd. La mise en scène choisie par le meurtrier est pour le moins baroque. La pression est d’autant plus forte que l’équipe n’est pas forcément très soutenue par la hiérarchie, que l’affaire est sous les feux de l’actualité… et tout cela alors qu’Alain Dubak ne s’est pas encore remis de sa rupture avec Alexandra, que Mamy est toujours dévastée par la mort de son mari Christian, que Véro sent son couple péricliter et que chaque coup de téléphone peut être celui qui lui apprendra la mort de son enfant, malade…
On est, d’emblée, plongés dans une histoire âpre, rude, vue au ras des chairs, des humeurs et des fluides corporels. Désir, sexe, mort, sang, drogue, jalousie, violence, sont au rendez-vous. Et chaque personnage se débat pour survivre, pour ne pas tomber.
Très vite, l’équipe est « renforcée » par l’arrivée de Monique Chabert, psychiatre à l’Office central de la police judiciaire (OCPJ), chargée de travailler sur le profil du meurtrier, mais que Dubak voit arriver comme un chien dans un jeu de quilles. Finalement, ce dernier passe autant de temps à regarder par dessus son épaule, en espérant voir les coups bas arriver, que devant lui pour avancer !
L’intrigue donne l’occasion à François Médéline de nous faire voyager dans toute l’agglomération lyonnaise, de la très chic Charbonnières-les-bains aux souterrains de Fourvière et de la Croix-Rousse. Mais il nous fait également naviguer parmi toutes les détresses humaines.
On ressent presque physiquement le rythme de l’enquête, du moins c’est l’impression que j’ai eue. Le démarrage est un peu lent, on pose le décor, on découvre les premières failles des uns et des autres. Puis une première piste se dégage, la pression extérieure augmente, tout semble s’accélérer, le rythme devient plus haché. Et puis la pression retombe. Toute l’équipe est convaincue que le premier suspect n’est pas le bon. Le doute s’installe, l’enquête semble flotter. Dubak doute – et François Médéline nous le fait clairement savoir. De la page 192 à la page 194, s’enchaînent toutes les questions qui lui trottent dans la tête.
Et puis le rythme accélère à nouveau. Les phrases deviennent hachées, souvent très courtes, parfois répétitives. On sent que l’enquête s’emballe, que plus personne ne contrôle rien.
Deux bémols cependant. Sur le fond de l’histoire d’abord, on est un peu surpris de voir, notamment à la fin – sans rien révéler – plusieurs des personnages s’embarquer seuls dans des explorations, au risque de se retrouver face à face avec le meurtrier.
Sur la forme ensuite. J’évoquais la dimension répétitive de certaines phrases – de certains paragraphes -, notamment à la fin du livre. Certaines expressions reviennent : pratiquement à chaque interrogatoire, on apprend que l’un des personnages en a « calibré » un autre ; un passage assez long et répétitif autour du schéma que l’équipe essaye de construire à partir des éléments de l’affaire.
La réutilisation d’un même procédé stylistique de façon réitérée parait assez lourd, par moment. Page 396 : « J’ai vu : la forêt. J’ai vu : la cascade. J’ai vu : Fred ». Page 397, en haut de page, « J’ai vu : le trou du jean à l’intérieur de la cuisse, sa peau blanche, ses yeux verts cerclés de vert, le trait d’eye-liner qui arrondissait ses paupières supérieures, ses longs cils. J’ai vu : le bandage, l’hématome, ses seins, la chemise à bretelles Petit Bateau qui moulait ses seins. J’ai vu : Alexandra ». Page 397, en milieu de page : « J’ai vu : ses yeux verts, cerclés de vert, mouillés, ses bras le long des hanches, ses seins, ses tétons moulés par le coton blanc ». Page 401 : « J’ai vu : sa peau blanche, le tatouage, les plumes rouges, la tête rouge, les seins, les jambes, les longs cheveux rouges ». Page 402 : « J’ai vu : un sac à dos noir, des tee-shirts, un jean noir, en boule, un casque de moto, noir ». Un peu plus loin, même page : « J’ai vu : un lit, un lit de 90, deux placards muraux ». Toujours même page, encore un peu plus loin : « J’ai vu : des tubes de peinture à l’huile, d’acrylique, des pots de résine, de couteaux à peinture, de pinceaux séchés, des éponges colorées, des fusains, des crayons ». Et, pour finir la page, « J’ai vu : une coiffeuse, un miroir, trois tubes de rouge à lèvres, du vernis à ongles, des pots de crème, une bouteille de laque, des perruques, du blush ». Page 403, encore deux énumérations du même type, complétées par une série de « J’ai fouillé » et « J’ai trouvé ». Page 404 : huit nouvelles occurrence de « J’ai vu : » (ses seins, l’ange rouge, Fred, Alexandra, la fille, Mamy, Véro, ma mère). Et en page 405, « J’ai vu : ses yeux verts cerclés de vert. J’ai vu : les paillettes violettes. J’ai vu : son hématome. J’ai vu : le bandage ». Et la toute première occurrence citée, « J’ai vu : la forêt. J’ai vu : la cascade. J’ai vu : Fred » se retrouve exactement à l’identique en page 406, et à nouveau en page 407, c’est à dire au démarrage du chapitre suivant. Quelques pages plus loin, c’est une succession de « Il y avait :… », avant de retrouver de nouveaux « J’ai vu ».
Naturellement, ce procédé provoque une sensation. Mais, là où, pour certains, il créera un sentiment d’urgence, de tension, totalement en concordance avec l’histoire, pour d’autres, il sera essentiellement pesant. J’avoue avoir, par moment, basculé dans la deuxième catégorie, face à ce systématisme.
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.
