« Ils jetèrent des pelletées de terre sur les cadavres, et, à chaque nouvelle pelletée, c’était sa vision de l’homme qu’il enterrait. Quelque chose de nouveau, de monstrueux et de terrifiant prenait sa place. Ce quelque chose était en train de changer irrémédiablement sa représentation de lui-même, sa foi dans la civilisation et dans la dignité humaine. »
Mechtild Borrmann, Le violoniste, Le livre de poche, 2016, p. 105.
Motivations initiales
Un livre qui, à la lecture de la quatrième de couverture, était suffisamment attirant pour que la question ne se pose pas…
Synopsis
Les destins entrecroisés d’Ilia Grenko, de sa femme Galina, de leurs enfants, Pavel et Ossip et de leurs petits enfants, Sacha et Viktoria.
Ilia est, en 1948, l’un des violonistes russes les plus prometteurs. Mais à la sortie d’un concert donné au conservatoire Tchaïkovski, il est arrêté par les hommes de la sécurité intérieure, et emmenée à la tristement célèbre Loubianka. Contraint d’avouer qu’il s’apprêtait à s’enfuir en Europe, pour – pense-t-il – protéger sa femme et ses fils, il se retrouve dans le camp de Vorkouta. Mais c’est une toute autre version qui est donnée de l’histoire à Moscou : Ilia est accusé d’avoir fui. Et sa famille est donc, comme toutes les familles de traîtres dans l’URSS de Staline, déportée à Karaganda, au Kazakhstan. Galina, alors qu’elle se croit abandonnée, se retrouve seule avec leurs deux fils, à essayer de survivre.
Ossip et Pavel, élevés en déportation, découvrent plusieurs années plus tard ce lourd passé familial. Et ils héritent de la dernière demande de leur père : retrouver son violon, un Stradivarius offert à son arrière-arrière-grand-père par le Tsar Alexandre II. Mais les deux frères trouvent la mort à quelques jours d’intervalle, alors qu’ils viennent seulement de lancer des investigations. Ne s’agit-il que d’un hasard ?
Sacha et Viktoria, troisième génération de cette famille brisée par le système soviétique, sont séparés à la mort d’Ossip et Maria, alors qu’ils viennent d’émigrer en République Fédérale d’Allemagne. Viktoria, que tout le monde appelle Vika, est adoptée, alors que Sacha, rebelle et débordant d’une rage incontrôlable, va de foyers en maisons de redressement. Il finit par se découvrir un talent pour la sécurité informatique, dont il fait son métier, à Cologne. Quand sa soeur reprend contact avec lui, elle lui demande de venir l’aider, car elle se sent en danger…
Ce sont ces histoires croisées que nous sommes invités à suivre, qui s’étendent sur une période de soixante ans. Cette histoire est un exemple qui montre comment un système totalitaire peut détruire et humilier, au profit de quelques élites…
Avis
> L’avis de C
Un achat coup de tête, mais au final, une petite pépite !
Cette histoire, aux allures de thriller et de roman historique, est passionnante ! La construction du livre est parfaite : une intrigue complexe, des dialogues soignés, une trame romanesque mais très documentée, une histoire de famille s’étalant sur plus de soixante années, bref des atouts excellents !
On est immédiatement captivé par l’histoire d’Ilia Grenko. On souffre avec lui lorsqu’il est conduit au goulag, on ressent sa peur, l’injustice qu’il éprouve et même l’inhumanité qui règne dans les lieux de captivité. On vit vraiment le livre : on sent le froid, la faim mais aussi la volonté de vivre et d’espérer des jours meilleurs.
Et puis en parallèle, il y a une partie qui concerne Sacha, le petit-fils d’Ilia, une partie moins historique et plus policière mais une partie remplie de suspens qui là aussi captive le lecteur !
Les 300 pages passent à une vitesse folle, on ne s’ennuie pas un instant ! Un roman qui mérite qu’on le lise sans attendre !
> L’avis de T
Le violoniste est une histoire policière, certes – ce roman a reçu le Grand prix des lectrices de Elle, catégorie policiers -, mais c’est bien plus que cela. En 300 pages, en effet, on passe en revue une partie de l’histoire du XXe siècle, en suivant le destin d’une famille brisée par un système totalitaire, par l’arbitraire policier de l’ex-URSS, par l’injustice du hasard.
Le récit du goulag et de la « vie » telle qu’elle s’y déroulait, des mensonges d’État, de la déportation vers les républiques satellites, de la suspicion instaurée en mode de fonctionnement d’une société – chacun de méfie de tout le monde -, de la délation élevée au statut de la normalité, sont autant de pièces d’un puzzle qui s’assemble progressivement pour tracer le portrait d’une injustice terrible.
Sacha, alors qu’il met les pieds dans une histoire dont il ignore toutes les ramifications, peut heureusement compter sur le soutien de quelques uns : son patron, Reger, rompu à l’art de mener des affaires difficiles ; Irina Bouskanina, qui lui tient lieu de guide lorsqu’il retourne sur les terres de ses ancêtres ; Sergueï Domorov, une sorte de mafieux russe qui apure ainsi une dette d’honneur… Des personnages hauts en couleurs, qui complètent avantageusement le tableau.
Au total, il s’agit d’un très bon livre, qui est à la fois intelligemment construit, solide sur son intrigue et qui parvient même à nous faire réfléchir. Alors, pour les amateurs d’enquêtes policières mâtinées de contexte historique, aucune hésitation à avoir !