Drame, Historiques

Les tilleuls de Berlin

« Le tilleul est le poète du crépuscule, il a choisi un papillon de nuit, le sphinx, pour porter le message de ses amours.

Le soleil se couchait, un prodigieux rut végétal était sur le point d’exploser. Au creux des corolles gorgées de nectar, les étamines se raidissaient, annonçant l’éternel retour de la vie. »

Jean Octeau, Les tilleuls de Berlin, Le Livre de Poche, 2017, p. 99.

Motivations initiales

Livre qui nous a été envoyé par Le Livre de Poche, il m’avait fait de l’œil, avec son personnage, Karl Schuster, spécialiste du monde l’art, originaire de Transylvanie, alors que les nazis montent en puissance.

Synopsis

Karl Schuster, donc, apparait comme un jeune dandy dans l’Europe des années 30. Originaire de Transylvanie où habitent encore ses parents, il vit à Berlin, mais, plus généralement parcourt l’Europe. Il fréquente des artistes, la vie semble facile. La crise des années 30 ne semble pas réellement le concerner, en tout cas, ce n’est pas pour lui un fait central.

Un jour, son père lui demande de se rendre en Slovaquie, pour visiter une entreprise dont il détient une partie du capital. En chemin, il croise une cavalière qui nettoie son cheval dans une rivière, mais Karl voit une fée. Naturellement, la fée va s’avérer être la fille ainée de l’associé de son père, avec qui va se nouer une histoire d’amour… complexe.

Mais l’Histoire n’attend pas, et, rapidement, il faut revenir sur terre. L’Europe est secouée par la guerre, les nazis semblent tout renverser sur leur passage. La situation des juifs est de plus en plus compliquée à tenir, pendant que Goering, et quelques autres, mettent en coupe réglée les musées européens, pour s’approprier ce qui leur plaît.

Dès lors, Karl va devoir faire avec sa conscience : comment sauver ce qui peut l’être, comment suivre sa conscience, comment continuer à vivre ?

Avis

> L’avis de T

Encore un de ces livres frustrants, parce que l’on adorerait les adorer, mais qu’ils nous perdent en route…

Mais essayons de prendre les choses dans l’ordre. Il s’agit d’un bon pavé (612 pages), suivi de près de 40 pages de postface, d’un glossaire, d’une sérieuse bibliographie. Au total, un « appareil critique », pratiquement, comme diraient les scientifiques, de plus de 70 pages qui accompagne le texte du roman. Cela fait beaucoup, et même, si j’osais, cela fait trop !

D’abord parce qu’en réalité, on a l’impression que l’auteur n’a pas voulu choisir entre les différentes pistes qui s’offraient à lui. Et il l’explique tellement bien dans le premier texte qui suit le roman, intitulé « Témoignage »; dans lequel Jean Octeau indique avoir vécu avec ces personnages depuis plus de 12 ans… Mais, en tant que lecteur, je vois en réalité au moins quatre histoires qui auraient pu être écrites, quasi-indépendantes. Et je vais les distinguer dans mon avis.

La première histoire, qui correspond pour l’essentiel aux 250 premières pages, est centrée sur l’histoire d’amour de Karl et Esther, dans laquelle intervient également la « régulière » de Karl à Berlin, Janina. Cette partie là de l’histoire m’a assez fortement agacée, je dois l’avouer. Karl est amoureux d’Esther depuis qu’il l’a vu apparaître au virage d’une route slovaque, dans sa chemise mouillée. Il l’aime, il est payé de retour, mais elle revendique sa liberté. Alors Karl ne fait pas de choix : après l’avoir un temps accompagné à Berlin, elle retourne en Slovaquie, avec un médecin lui aussi amoureux d’elle. Du coup Karl rencontre Janina, qui accepte une sorte de ménage à trois, en se faisant la voix d’Esther – c’est par elle que transitent les nouvelles. Mais Karl ne semble pas se préoccuper de savoir si ce choix convient à Esther, ni à Janina. Et, surtout, il ne veut pas se demander s’il lui convient à lui. Bref, pas ma tasse de thé.

Une deuxième intrigue vient se nouer. Les nazis razzient les musées européens, l’histoire est assez bien connue, Goering amasse dans son château, et pilote un réseau d’informateurs et de voleurs dans toute l’Europe… Que peuvent faire les milieux artistiques en Allemagne pour limiter la catastrophe ? Est-ce bien de plier un peu l’échine pour sauver ce qui peut l’être ? Cette partie là constitue l’essentiel du livre, en gros de la page 250 à la page 350. C’est historiquement intéressant, n’étant pas spécialiste de cette période, l’angle m’a semblé très pertinent. Mais on reste un peu sur sa faim, parce que ce dilemme n’est pas totalement creusé.

Une troisième intrigue serpente dans le livre, autour de ce que font Esther et Janina, ainsi que Karl, pour protéger, comme ils le peuvent, les juifs qui les entourent. La pression augmente, au fil des événements. Et chacun se retrouve confronté à un choix : non seulement celui de s’engager, mais celui de savoir jusqu’où l’on va s’engager. Et, pour certains, se pose la question du départ. Karl, lui, fait longtemps le choix de rester, quitte à ce que cela s’accompagne d’une forme de compromission.

Enfin, une quatrième trame apparaît, à la fin du livre, alors que la guerre est finie. Karl est devenu un réfugié, il n’a plus d’argent, presque plus de perspectives, il a pratiquement tout perdu. Il espère retrouver Esther. Et il hante Vienne. Et là, il croise un groupe composé notamment de déportés revenus des camps. Et on assiste à ce spectacle affreux de ces personnes qui ont survécu, mais qui ne s’en remettent pas, ou si difficilement. Il y a une sorte d’errance dans la Vienne de l’immédiat après-guerre, où tout est difficile… surtout d’apprendre à revivre.

Chacun de ces sujets est intéressant en soi. Mais ils ont du mal à trouver leur place dans ce livre, à s’articuler. On a l’impression que l’auteur n’a pas voulu, su, osé… que sais-je… choisir. Et qu’il se fait promener par ses personnages. Du coup, je regrette presque que ce livre n’ait pas été en réalité découpé en trois ou quatre livres différents.

En fait, le passage le plus émouvant n’est pas dans le livre, mais dans le « Témoignage » qui suit immédiatement sa fin. L’auteur, là, se livre sur la relation qu’il a entretenu avec ses personnages, et, là, il m’a touché. Vraiment. Le souffle que je n’ai pas trouvé dans les 612 pages qui précédaient, je l’ai trouvé là. Du coup, je reste avec l’impression que ce jeune auteur – il s’agit d’un premier roman – de 88 ans a voulu trop en mettre…

Et je ne vous parle même pas de ma frustration. En effet, à plusieurs moments, on est mis en appétit, mais paf ! Une ellipse nous prive du développement qu’aurait pu mériter un sujet. Ainsi, juste un exemple : pages 412-413, on trouve l’extrait suivant :

« Notre action n’aurait pu continuer en vas clos, il nous manquait un certain savoir-faire dans l’art des faux papiers. Les communistes étant débordés, nous étions en rapport avec de mystérieuses entités qui j’imaginais sous forme de puissants réseaux alors qu’il s’agissait le plus souvent de cellules aussi petites que la nôtre. Sans le journal de Ruth Andreas-Friedriech, publié juste après la guerre, je n’aurais jamais su qui se cachait derrière le groupe « Onkel Emil » à Steglitz ».

J’étais là, haletant. Je m’attendais à un développement, bref peut être, mais tout de même, sur ce qu’est ce groupe « Onkel Emil », qui n’est évoqué nulle part dans le livre, ni avant, ni après. Mais non. L’auteur a fait preuve d’érudition, il mobilise tout ce qu’il a pu apprendre en 12 ans de recherches sur le sujet. Mais je ne saurai jamais, sauf à aller creuser par moi-même, ce qu’est ce groupe. Je ne vais pas avoir le temps de lire le journal de Ruth Andreas-Friedriech. Et je reste donc là avec ma frustration.

À la fin du livre, je pense avoir compris pourquoi il y a maldonne. En fait, l’auteur le montre bien dans son traitement du glossaire (regroupé à la fin du livre, un traitement qui ne facilite pas la lecture, et que l’on retrouve souvent dans les ouvrages érudits) et en donnant des pages et des pages de bibliographie. Il a fait œuvre d’historien, et non de romancier. Ce livre est une ouverture sur des mois ou des années de recherche, pour ceux que les sujets abordés intéressent. Mais ce n’est pas dans cette optique que j’ai lu ce livre… Je lisais un essai en croyant lire un roman. J’attendais d’être emporté par un souffle épique alors que c’était un document circonstancié, mais à compléter, qui m’était offert. Alors je ne peux pas dire que ce n’était pas intéressant. Mais ce n’est pas ce que j’attendais…

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