Historiques

Hippocrate aux enfers

« Moi, j’expérimente sur des hommes, et non sur des cobayes et des souris. »

Michel Cymes, Hippocrate aux enfers, Le Livre de Poche, 2017, p.39.

Motivations initiales

Comme beaucoup d’entre nous, je m’intéresse à ce moment trouble de notre histoire qu’est la Seconde Guerre mondiale. Comme beaucoup d’entre nous, je ne comprends pas et, surtout, je ne cautionne pas les atrocités commises. Comme beaucoup de personnes, je souhaite ne jamais connaître cela… Et peut être plus que beaucoup de personnes, je pense qu’il y a un devoir de mémoire à lire-connaître-écouter-voir les horreurs commises, pour ne jamais oublier et pour ne jamais revivre cela.

Synopsis

Michel Cymes, petit-fils de déportés, médecin de profession & chroniqueurs célèbre de France 5, a décidé d’entreprendre un travail de recherche sur les médecins nazis, ceux qui ont commis des atrocités dans les camps de concentration. Cette recherche diffère de celle qu’aurait pu effectuer un historien : le médecin qu’est Michel Cymes cherche, annonce-t-il, avant tout à comprendre comment des médecins ont pu, en contradiction complète avec le serment d’Hippocrate qu’ils ont tous prêté, choisir de tuer.

Dans chaque chapitre, un nouveau « cas » nous est présenté : Sigmund Rascher, Wilhelm Beiglböck, Aribert Heim, August Hirt, Josef Mengele, Carl Clauberg, Herta Oberheuser, Erwin Ding-Schuler.

Avis

> L’avis de C

Bien que j’ai lu ce livre très rapidement – en deux jours, début janvier -, il m’a fallu du temps pour le « digérer » et me sentir en capacité de vous en parler.

Mais, même en ayant pris du temps, je sais que ce que je vais écrire risque de choquer certains d’entre vous, et que cela pourrait me valoir des commentaires outragés, voire haineux – j’en ai déjà fait l’expérience sur d’autres réseaux sociaux. Alors, avant de commencer, je vous demande d’essayer de ne pas réagir juste dans l’émotion, mais de prendre, vous aussi, le temps de la réflexion, et de ne pas caricaturer ou déformer mes propos.

Il faut également dire que ce livre est glaçant, terrifiant. Comment des êtres humains ont-ils pu imposer à d’autres êtres humains autant de violence, sans aucune trace d’humanité… C’est un livre que l’on ne peut pas mettre entre toutes les mains, sa lecture est éprouvante. Ces portraits de médecins nous prennent véritablement aux tripes. Michel Cymes nous relate, sur un ton chirurgical et une redoutable précision, les expériences, nous faisant quasiment ressentir le froid, la faim, la soif, l’odeur du sang…

Tout l’intérêt de ce livre aurait pu – et du – être de montrer une autre facette de la « machine » nazie. En effet, on voit assez clairement se dessiner deux groupes distincts parmi les médecins dont Michel Cymes nous dresse le portrait. D’un côté, il y a les pervers et les psychopathes. Souvent, ce sont des médecins médiocres, ayant péniblement obtenu leur diplôme, dont le moteur est la frustration et la violence. Ceux-là ont vu tout l’intérêt que le nazisme pouvait avoir pour eux, en les débarrassant des médecins juifs (ceux-ci, avant la guerre, représentaient presque 60% des médecins à Berlin) – et libérant autant de postes ; et, en plus, cela leur permet de laisser libre cours à leurs penchants pour la brutalité. De ceux-là, il n’y avait rien à attendre, et finalement peu à s’étonner de leurs agissements. Mais, d’un autre côté, il y a aussi des médecins renommés, parfois mondialement, avant la guerre, considérés comme brillants. Ceux-là se sont souvent défendus, lors du procès des médecins à Nuremberg (1946-1947), en insistant le fait que leur préoccupation initiale était de mener à bien leurs recherches, de faire progresser la science. Et, de ces médecins-là, il aurait été particulièrement intéressant de chercher à comprendre le cheminement. Mais cela aurait demandé de la finesse, de la nuance…

J’ai trouvé ce livre extrêmement décevant, et même profondément agaçant. Et, après avoir lu certaines des interviews de l’auteur autour de ce livre, cela me renforce dans mon impression. Sur le site LCI, il prétend être totalement factuel, mais non, il n’est pas factuel : il nous propose une lecture orientée par une émotion qui déborde. Traiter ces médecins de salauds, les insulter, cela soulage peut-être, mais en quoi cela fait-il avancer le débat ?

Il ne s’agit évidemment pas de trouver des circonstances atténuantes à ces médecins. Leurs agissement sont évidemment indéfendables, je le redis. Mais l’intérêt était d’essayer de profiter de l’exercice pour comprendre comment un tel enchaînement a pu se produire. Mais rien de tel ici : contrairement à ce qu’il annonce, Michel Cymes ne cherche pas à comprendre, il s’indigne, il invective, et même, parfois, il brode. Je pense ici à ce passage où il décrit une photo sur laquelle un nouveau-né, pris en photo avec son père – l’un des médecins – hurle. Des photos sur lesquels des nouveaux-nés hurlent, sans que personne ne puisse en connaître la raison, nous en avons tous en tête. À quoi servait donc de vouloir en tirer l’idée que le bébé hurle parce qu’il aurait, avant les autres, perçu la monstruosité de son père. C’est cela, « être factuel » ? Évidemment non !

J’attendais beaucoup de ce livre, j’attendais notamment une véritable réflexion sur ce qui a permis que tous ces médecins s’engagent ainsi aux côtés des nazis. Cela, pour moi, aurait répondu au devoir de mémoire. Mais ce livre se résume, pour moi, à l’étalage des états d’âme de Michel Cymes qui, tous respectables qu’ils soient, ne font pas œuvre d’histoire.

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2 réflexions au sujet de “Hippocrate aux enfers”

  1. En fait, je crois que ce qui me gêne le plus, c’est qu’il y avait matière à en faire un livre important, qui aurait pu être un de ces livres qu’il faut lire et qui participe au devoir de mémoire. Mais en réduisant son propos par l’injure et l’outrance, il en réduit la portée…

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