Chronique de Notre part de cruauté, d’Araminta Hall.
« Sa robe était ourlée de très vieille dentelle, drapée sur un tissu ajusté et scintillant qui flottait autour de son corps comme de l’eau. Il luisait à chacun de ses gestes, tour à tour soulignant puis dissimulant ses formes parfaites. L’échancrure dans le dos révélait sa colonne vertébrale et le jeu de ses muscles, sa peau d’un brun pâle me rappelant tous les moments où je l’avais tenue dans mes bras. »
Araminta Hall, Notre part de cruauté, Librairie générale française – Préludes, 2019, p. 141.
Motivations initiales
Dans la sélection du Grand Prix des lectrices ELLE figure ce thriller psychologique, occasion de découvrir cette auteure britannique !
Synopsis
Mike Hayes a eu une enfance difficile, auprès d’une mère portée sur l’alcool et dont les petits amis successifs avaient parfois la main lourde. Finalement placé en famille d’accueil auprès de ceux qu’il considère désormais comme ses parents, Elaine et Barry, il réussit à reprendre une vie normale, et, surtout, à laisser se développer son talent pour les chiffres, ce qui lui vaut désormais une enviable – et très rémunératrice – place de trader.
Mais, à l’université, il a aussi rencontré Verity, sous le charme de laquelle il est immédiatement tombé. Leur histoire reste cependant marquée de la crainte permanente qui l’oppresse : qu’elle finisse par penser qu’elle mérite mieux ! Alors il ne vit plus que pour elle, cédant à tous ses caprices. Leur relation s’organise autour du « Jeu » : dans un bar, elle fait mine d’être seule, attend qu’un homme plus entreprenant l’aborde et la drague et, quand elle le décide, sur un signe convenu à l’avance, Mike intervient pour faire fuir l’importun. Et cela les excite tous les deux.
Lorsqu’il a l’opportunité de partir travailler aux États-Unis, elle-même décroche un poste important dans une entreprise londonienne. Les voilà donc embarqués dans une relation à distance. Mais cela peut-il durer ? Et, surtout, jusqu’où cela peut-il aller ?
Avis
> L’avis de C
Que penser de ce « thriller psychologique » ? Posée ainsi, la question peut sembler simple, mais la réponse l’est beaucoup moins. Et la raison se trouve peut-être dans une partie du livre que souvent l’on ne lit pas : la postface et les remerciements.
Dans la postface, en effet, l’auteure signale avoir su dès le départ que son livre devrait être écrit à la première personne, du point de vue du personnage masculin. Ce personnage, dit-elle encore, serait faillible, parce que les failles sont une caractéristique de l’humain. Et il ne serait ni bon, ni méchant, il attirerait les lecteurs autant qu’il les répugnerait, entre sympathie et malaise. Il serait véritablement amoureux, obsessionnellement. Les deux personnages de cette histoire d’amour – même si elle n’est pas que cela – devaient être crédibles, faillibles, plausibles, en mettant en scène la différence que la société fait entre les hommes et les femmes.
Et puis, dans les remerciements, l’auteure change de registre, et dit avoir écrit ce livre « dans un fol accès de colère devant les injustices continuelles perpétrées contre les femmes dans notre société soi-disant civilisée. Donc merci à mon mari Jamie et à mon fils Oscar d’avoir subi cette colère anti-masculine (alors que ni l’un ni l’autre ne sont le genre d’hommes qui suscitent cette colère). Et merci à mes filles Violet et Edith d’avoir au moins fait semblant de m’écouter quand, à la moindre occasion, je leur apprenais à se dresser contre le patriarcat. »
Cette sorte d’ambivalence entre une volonté affirmée d’un personnage ni bon ni mauvais, et une bouffée de colère incontrôlable, je l’ai retrouvée dans le livre. Je n’ai pas ressenti le bon côté du personnage, je ne l’ai pas trouvé sympathique. Du coup, je ne l’ai pas trouvé crédible.
Qu’il soit obsessionnel, certes. C’est évident. Indiscutable. Et l’on sent immédiatement que cela va déborder. On sait d’ailleurs très rapidement que les choses ont mal tourné, puisque dès la page 15, il nous parle depuis un lieu où « quand vous avez tué quelqu’un, on vous respecte » – pas de spoil ici, donc ! Mais puisque la dimension obsessionnelle est évidente aussi rapidement, fallait-il 400 pages pour nous la faire partager ?
Et c’est là où la deuxième dimension intervient. Celle de la colère. Car on a, de-ci, de-là, des indices qui donnent à penser que la situation pourrait être plus équilibrée qu’il n’y parait initialement. Quand Verity – prénom intéressant, d’ailleurs… – dit à Mike : « J’aime voir comme ils ont peur de toi, murmura-t-elle » (p. 29) ou, un peu plus loin « Les aigles sont magnifiques, avait dit V. Ce sont les seuls oiseaux qu’une tempête excite. Ils volent droit sur elle, ce qui leur permet d’observer le chaos qu’elle provoque » (p. 34), on sent bien que l’ambivalence est partagée. Mais – colère ? -, cette dimension disparait petit à petit du livre.
Bref, j’ai trouvé l’ensemble un peu long et/ou pas assez complexe, en partie, probablement, parce que sous-entendre qu’une femme serait ambivalente n’est justement pas perçu de la même façon que lorsque l’on dit cela d’un homme. Mais fallait-il céder à ce schéma ? Du coup, on perd, m’a-t-il semblé, la dimension de questionnement qui faisait tout l’intérêt de cette histoire…
Et pourtant, cela se lit bien, et on est, de scène en scène, happés par cette envie de savoir où Araminta Hall nous emmène. Ce n’est donc pas raté, loin de là, mais cela ne m’a pas fait l’effet de l’immense claque que cela aurait pu être si la balance avait été équilibrée…