Chronique de La nuit tombée sur nos âmes, de Frédéric Paulin.
« Elle sort un paquet de cigarettes et lui en propose une. Elle prend son temps, prépare ses mots. Elle lui fait la leçon.
D’abord, les gentils altermondialistes oublient un peu vite que toutes les idéologies politiques ou religieuses ont toujours utilisé et justifié la violence quand cela leur convenait. Et puis, franchement, si tu regardes l’histoire de l’anarchisme, tu trouveras plus de partisans non-violents que violents. Mais surtout, si le black bloc est plutôt anar, ce n’est pas parce qu’il y a de la violence dans ses actions, mais parce que nous fonctionnons de façon égalitaire. Nous sommes non-autoritaires, non-hiérarchiques, libertaires, quoi. »
Frédéric Paulin, La nuit tombée sur nos âmes, Agullo Éditions, 2021, p. 98-99.
Motivations initiales
Après la trilogie « Tedj Benlazar », j’attendais avec une certaine impatience le nouvel opus de Frédéric Paulin, qui a toujours cette capacité à nous faire découvrir ou redécouvrir les dessous d’affaires qui, sur le moment, ne nous étaient pas forcément apparues pour ce qu’elles étaient. Aussi, lorsque j’ai vu que ce nouveau roman était consacré aux événements de Gênes, en 2001, j’ai commencé à rassembler mes souvenirs…
Synopsis
À Göteborg, en juin 2016, à l’occasion d’un sommet des chefs d’état de l’Union européenne, des échauffourées opposent des groupes de jeunes se réclamant de l’anticapitalisme et les forces de l’ordre. Les incendies se multiplient, les destructions aussi.
Manque de chance, un sommet du G8 est prévu à peine un mois plus tard, à Gênes, dans une Italie menée par un Berlusconi qui pactise avec l’extrême-droite et, notamment, avec le parti fasciste de Gianfranco Fini. Jouant les fiers-à-bras – personne ne s’en étonnera -, Berlusconi chauffe à blanc son entourage : il faut montrer que l’Italie ne se laisse pas faire par les « comunisti » !
Parmi les altermondialistes, deux camps s’opposent : d’un côté, les mouvements non-violents, pacifistes ; et le black bloc, que l’on ne connait pas encore très bien – on a eu l’occasion d’apprendre à mieux les connaître, depuis… -, qui ne jure que par l’action violente…
Tout est prêt pour que Gênes, en 2001, devienne le lieu de « la plus grave atteinte aux droits démocratiques dans un pays occidental depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » (d’après Amnesty International).
Avis
Pour ce qui est du rappel historique, on prend, avec ce livre, un véritable uppercut. Je ne sais pas ce que je faisais en 2001 – ou, plus exactement, de 2001, je me rappelle surtout ce que je faisais un certain 11 septembre -, mais je n’ai pas souvenir d’avoir mesuré, à l’époque, la gravité des événements qui s’étaient déroulés à Gênes. Cela en est même gênant, je dois l’avouer…
Ce livre est également l’occasion de nous rappeler que, avant Trump, Erdogan, Orban et Bolsonaro, notre monde avait déjà eu l’occasion de se traîner une sacrée brochette de vainqueurs, avec, à l’époque, Bush Jr., Berlusconi, mais aussi Gbagbo, Bouteflika…
Bref. Ce livre nous propose une plongée dans des milieux auxquels il serait impossible d’accéder dans la vraie vie. Nathalie, black bloc de son état, vit aux crochets de ses parents, qui se privent pour lui permettre d’étudier, alors qu’elle en profite pour jouer les égéries des milieux anarchistes de Rennes. Wag – Chrétien Wagenstein -, lui, était plutôt LCR, mouvement dans lequel, au côté de l’un des membres historiques, Alain Krivine, un petit jeune est en train de faire son trou, un certain Olivier Besancenot… De l’autre côté de l’échiquier politique, on accompagne Laurent Lamar, membre de l’équipe des communicants de Chirac, qui prend quelques libertés avec ses attributions, quelques années avant Benalla, et Franco de Carli, ouvertement néo-fasciste, devenu par commodité et opportunisme un admirateur de Berlusconi, et qui cherche à profiter de la situation pour se mettre en avant. Et puis, on suit également une journaliste, un photographe, deux policiers…
Entre tous ces personnages se nouent les fils du drame qui monte. Opportunisme, trahison, compromission, aveuglement. C’est finalement au bout de la nuit, dans les nuages lacrymogènes, que chacun trouvera sa vérité. Mais à quel prix ? Parce que chaque choix implique un renoncement…
Sur la forme, une chose m’a frappée. Il m’a fallu une centaine de pages pour réaliser que les dialogues, dans ce livre, sont traités de façon inhabituelle. Ils sont insérés dans le récit, sans marque distinctive. Il me semble avoir vu une fois des guillemets, mais une seule fois, et jamais avec des tirets. J’ai évidemment vérifié dans les trois tomes de la trilogie, déjà publiés chez Agullo, mais les dialogues y étaient traités « classiquement ». Comme il ne peut pas s’agir d’un hasard ou d’un oubli, il s’agit donc d’un choix volontaire. Qui, je l’avoue, m’a semblé curieux. Mais qui, peut-être, vise à marquer, justement, comment tout a été imbriqué dans tout, à l’occasion de ces événements terrifiants et indignes…
Je ne dirai pas qu’il s’agit d’un livre facile. Mais je ne pense pas que cela ait été le souhait de Frédéric Paulin que de nous livrer une bluette en mode « easy-reading ». Au contraire, le récit est âpre, tout accroche, raccroche, même, forçant la réflexion et la prise de recul. Rien n’est simpliste, rien n’est blanc ou noir. Tout est en nuances de gris – mais sans aucun érotisme ! -.
Ce n’est pas forcément un livre « tout public ». Mais il est à lire d’urgence pour tous ceux que les violences de ces dernières années font réfléchir…
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.
