Chronique de L’homme aux lèvres de saphir, d’Hervé Le Corre.
« Les hommes, surtout, avec leur frime de poilus, la bite au front dès qu’ils voient passer une frangine… Pensent qu’à lui caser leur morceau… Mais bon… C’est pas pire que le bourgeois qui vient tirer son coup en sortant de la messe… Salauds convenables… »
Hervé Le Corre, L’homme aux lèvres de saphir, Rivages/Noir, 2004, p. 74.
Motivations initiales
Il y a quelques temps, lors d’une virée en librairie, ce livre est tombé entre mes mains. Je connaissais de nom l’auteur mais je n’avais jamais rien lu de lui. Il était temps d’y remédier et de me forger mon propre avis !
Synopsis
Paris, fin du Second Empire.
Une série de meurtres barbares plonge la ville dans l’angoisse et stupéfie la police. Qui est donc ce meurtrier qui imagine les pires scénarios pour ses victimes ? Il se sent une âme d’artiste, il fait de la poésie « concrète » en rendant hommage à celui qu’il considère comme le génie du XIXe siècle, le comte de Lautréamont.
Dans une ville pleine de misère, mais aussi d’espoirs de lendemains meilleurs, un inspecteur, un ouvrier et deux femmes usées par la vie vont se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment et faire connaissance avec un tueur détraqué..
Avis
Eh bien voilà, je fais désormais partie des initiés des polars d’Hervé Le Corre… En regardant la masse de livres lus depuis quelques années, je me rends compte que je n’avais jamais croisé la route de cet auteur que je connaissais uniquement de nom. Désormais c’est chose faite et je ne regrette absolument pas que mon œil avide de lecture se soit posé sur cette sombre histoire…
Ce qui est étonnant – et aussi très déroutant -, c’est que cette histoire ne rentre dans aucune case, aucun genre. Impossible de l’enfermer dans un style unique, ici les genres s’entrechoquent pour donner naissance à un roman hybride au style à la fois lumineux et complétement noir, sans aucun espoir. C’est sûrement là que réside le talent ou bien le génie machiavélique d’Hervé Le Corre.
Attirer ses lecteur pour ce que l’on a l’habitude d’appeler un roman noir mais qui en réalité est un roman « multigenre »… Un roman historique, qui présente un régime politique à bout de souffle et où le lecteur voit se déliter sous ses yeux – doucement et sans bruit, mais inexorablement – le Second Empire. Un roman social, qui fleure bon Victor Hugo parfois en mettant en lumière les balbutiements de la classe ouvrière, les débuts d’un petit peuple qui crève mais qui cultive l’espoir de lendemains qui chantent. C’est inclassable, ça se lit autant que ça se vit, ça se dévore autant que ça nous répugne, ça laisse sans voix autant que ça dégage une douce sensation de chaleur dans le ventre… C’est percutant, à la limite du troublant, et croyez-moi j’ai été un brin maussade quand l’épilogue a pris fin.
L’écriture est ronde, harmonieuse, avec un rappel tout en douceur des tournures stylistiques utilisées à la fin du XIXe siècle, mais elle sait également être pointue, aiguisée et tranchante comme un couperet quand il n’y a plus d’espoir, quand Hervé Le Corre met en lumière la perfidie de l’espèce humaine.
C’est dense, c’est complet, c’est glauque, c’est poignant et tel un saphir que certaines porteront à leur doigt, cette histoire noire va rejoindre les étagères de ma bibliothèque.
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.
