Chronique de Des îles et des chiens, de Sylvia Cagninacci.
« Les yeux de maman se sont mouillés. Sous l’effet des larmes qui restaient accrochées à ses cils, son regard s’est agrandi. Il est devenu intense, incandescent. Elle a passé son bras autour de la taille de papa. Elle a levé la tête vers lui sans un mot. Et j’ai compris qu’elle avait attendu qu’il fasse le premier pas. Elle voulait être reconquise ! Les femmes, pas facile de les suivre. »
Sylvia Cagninacci, Des îles et des chiens, Éditions In8, 2022, p. 31.
Motivations initiales
Depuis quelques mois, les Éditions In8 nous offrent l’occasion de découvrir de nouveaux auteurs, de nouveaux textes. Ici, il s’agit du premier roman de Sylvia Cagninacci, une « tragédie familiale contemporaine » qui se déroule sur un terrain que l’auteure connait bien, pour y habiter : la Corse ! Merci Josée pour cette découverte !
Synopsis
Une île, la Corse. Des chiens, trois au moins. Évoluant dans une famille dysfonctionnelle, le petit Dominique, 11 ans, tente de s’en sortir comme il peut. En prenant, parfois, ses quartiers chez une voisine, Lucie, qui essaye encore de faire le deuil de son mari ; en écoutant ses Playmobil raconter leurs histoires ; en se confiant à Bono, son lapin.
Un jour, il décide de monter jusqu’à Saint-Jean. Malheureusement, mauvais endroit, mauvais moment, c’est un jour de chasse, et le garçon prend une balle dans la cuisse. L’artère est touchée et il se vide de son sang. Lorsque les secours le retrouvent, il est trop tard, Dominique a seulement le temps de parler d’un chien. Du chien d’un des chasseurs ? Non…
Avis
Accident, tragédie, malchance. On pourra appeler cela comme on le voudra. Mais comment, plus globalement, parler de la mort – accidentelle – d’un enfant ? Le choix fait par l’auteure, qui peut sembler étonnant, consiste à laisser Dominique en parler lui-même. Il est le narrateur de ce livre, alors même qu’il meurt à la fin du premier chapitre.
Il est le narrateur de cette histoire qu’il a vécu, même s’il a, malheureusement, toujours été un petit peu à côté. Car le plus terrible, dans cette famille, là où se noue cette tragédie, c’est précisément dans le fait que cette famille est d’abord un couple. Fusionnel. Et, de fait, auto-centré. Ange ne sait pas vivre sans Noëlle, mais Noëlle n’imagine pas davantage vivre sans Ange. Ils se sont pratiquement promis l’un à l’autre alors qu’ils étaient enfants, lors d’un mariage, et cette promesse, ils l’ont tenu.
Malgré les conseils de sa famille, et surtout de sa mère, qui l’avait prévenue – « Ne l’épouse pas, tu vas le regretter. Y sont tous dingues dans cette famille, à cause de son arrière-grand-père qui a épousé la fille de son cousin germain. Depuis, les descendants sont tous un peu stortu… » -, Noëlle a tenu bon : pourtant, du côté d’Ange, ils ont parfois eu des comportements bizarres. Mais cette opposition, si elle les a rapprochés, n’a pas été suffisamment forte pour les lier vraiment. Et, désormais, ils se déchirent, pour tout et pour rien, sous les yeux de Dominique.
Entre Ange et Noëlle, c’est une lutte de pouvoir qui se joue. C’est aussi une passion qui se meurt. Notamment sous les coups de boutoir de la jalousie du père, convaincu que Noëlle le trompe avec Pierrot, le vendeur de chaussures. Qui ne supporte pas que d’autres hommes la regardent. Qui ne tolère pas qu’elle parle, qu’elle puisse rire… Et pourquoi cette jalousie ? Parce que, d’une certaine façon, il se sent – il se sait ? – inférieur. Alors il sombre dans l’alcool.
Mais quelle place est laissée à Dominique, dans tout cela ? Celle du spectateur, qui assiste à des scènes qu’il ne devrait pas voir, qui capte des mots qu’il ne devrait pas entendre. Au final, ce n’est qu’après sa mort qu’il va pouvoir « agir », auprès de sa mère, au moins.
Ce livre est à la fois dur et doux. Dur dans son propos, dans ses mots. Mais doux dans le pardon qu’il met en scène. Dominique, finalement, parvient à emmener sa mère sur le chemin de l’acceptation, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il avait, vivant, compris que ses deux parents étaient coupables de ce qu’ils lui faisaient subir. Attention, il n’était pas maltraité, mais, comme malheureusement dans trop familles, probablement, il était malgré tout la première victime de la tension entre ses parents.
Et puis il y a les chiens. Les chiens qui constituent une sorte de fil rouge, ou de ligne de crête. Dans l’histoire familiale, il y a un premier chien, celui qui, en 1942, a sauvé – involontairement – le grand-père, Antoine, en se mettant à aboyer alors qu’un allemand s’approchait subrepticement. La légende l’a rebaptisé Rouky, mais personne ne connait son nom… ni même s’il en avait un ! Rouky, c’est le chien d’Ange, quand il était petit, en hommage au premier. Alors, quand Dominique réclame un chien, son père imagine un nouveau Rouky. Mais, imbibé d’alcool, il ramasse un pauvre chien qui a été percuté par une voiture, le ramène à la maison… et le laisse mourir là. D’un chien sauveur, on est passé à un chien mort, et c’est comme une métaphore du destin du couple formé par Ange et Noëlle.
Et puis, après le drame, un incendie se déclenche du côté de Saint-Jean. Est-ce aller trop loin que de penser que le feu, ici, est là pour purifier le pays, et les acteurs, après la mort du garçon ? L’interprétation est peut-être exagérée, mais c’est l’image qui m’est venue…
Un livre coup-de-poing mais tendre, empreint de candeur. Le choix de Dominique comme narrateur permet au final de poser sur le monde des adultes un regard scrutateur, certes, un brin désabusé, mais également encore naïf. Alors, ça vous dirait, un détour par la Corse ?
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.
