« Gulbudin hocha la tête. Il avait désormais une dette envers ce commerçant malhonnête, rapiat et vicieux. C’était toujours la même histoire : les vrais malfrats narguaient la police et il fallait leur donner quelque chose en échange des renseignements qui lui permettaient d’avancer dans ses enquêtes. Le marchand le tenait, il le savait. Un jour, il présenterait l’addition et il faudrait bien que Gulbudin lui renvoie l’ascenseurn, même si, à l’instant présent, son désir le plus cher était de lui vider son chargeur de pistolet dans le ventre. »
Cédric Bannel, Baad, Éditions Robert Laffont – Points Policier, 2016, p. 78.
Motivations initiales
Quais du Polar 2018, à Lyon. Après avoir déjà fait ce pour quoi nous sommes venus, nous faisons un tour supplémentaire, histoire de voir s’il n’y a pas un livre ou un auteur qui nous ferait de l’œil. Et, justement, sur l’un des étalages, un livre. Visiblement, un policier qui se déroule en Afghanistan. L’auteur est là. Cédric Bannel, est-ce écrit. Inconnu de nous. Un regard. Il nous adresse la parole…
Synopsis
Deux histoires dont les fils vont se croiser. D’un côté, le Qomaandaan Oussama Kandar, ancien sniper de Massoud, devenu patron de la brigade criminelle à Kaboul. Intègre, droit, croyant, il est en lutte avec les criminels, mais aussi avec l’essentiel de l’administration de son pays, corrompue et prête à toutes les compromissions. Du coup, au moment de traquer un tueur de petites filles – un troisième cadavre vient d’être découvert -, il sait ne pas pouvoir compter sur beaucoup d’aide, en dehors de celle de sa femme, Malalai, gynécologue, de Katoun, médecin légiste, et de sa petite équipe – Gulbudin, son adjoint, qui a perdu une jambe durant la guerre, Rangin, Babour et Chinar. Heureusement, Kandar peut aussi compter sur le soutien de Mollah Bakir, taliban modéré, et sur ses réflexes de combattant.
Très loin de là, Nicole Laguna. Ancienne de la DGSE, blessée par l’explosion d’un prototype de bombe prévu pour éliminer un chef islamique, versée dans la police avec le titre de commissaire, elle s’est spécialisée dans la capture de criminels en fuite. Cela l’a amenée à diriger pendant dix ans la Brigade nationale de recherche des fugitifs, avant de partir dans le privé. Mais ce sont aussi ces capacités qui lui valent d’être enlevée, mais également son mari et ses deux enfants, par la Cupola, organe de direction des mafias italiennes. En effet, ils comptent sur elle pour retrouver un homme, Franck X – ils ne connaissent même pas son identité réelle -, chimiste de haut vol.
Ce roman a reçu le prix du meilleur polar des lecteurs de Points en 2017.
Avis
> L’avis de T
Mais finalement que sais-je de l’Afghanistan ? Voila la première question que soulève ce livre, avant même de l’avoir ouvert. Et la réponse se résume malheureusement à « presque rien », bien que j’entende parler de ce pays depuis toujours, entre l’intervention soviétique, la guerre civile, la prise du pouvoir par les talibans, l’intervention de l’OTAN…
Le premier mérite de ce livre est donc de nous faire découvrir cette société, sorte de patchwork d’ethnies, dont certaines dont même le nom m’était inconnu : pachtounes, hazaras, tadjiks, ouzbeks (groupes les plus nombreux), baloutches, turkmènes, kirghizes, et, que je découvre à ma grande honte, aimaks, pashayis, nouristanis… Oussama Kandar, dans sa pratique, ne peut pas négliger le fait que l’appartenance à telle ou telle ethnie, tel ou tel clan, peut avoir des conséquences.
Le deuxième mérite de ce livre, c’est de nous faire toucher du doigt ce qu’est la condition féminine en Afghanistan, et, plus largement, la situation sociale de ce pays. On sait que c’est terrible, mais certaines des indications qui nous sont données ici sont tellement inimaginables pour nous qui vivons dans notre petit monde de Bisounours… Le viol, la soumission, les mariages forcés, les mollahs qui abusent de leur position pour obtenir des faveurs sexuelles, tout cela est affreux. L’idée que, lorsque son mari meurt, une femme doit épouser l’un des frères du défunt me paraissait déjà éminemment médiévale ; mais, chez les pachtounes, la vengeance est inscrite dans les traditions, et le nouveau mari dont mener cette vengeance sous peine d’exposer toute la famille à une profonde honte sociale. La question de la drogue est également très frappante : l’auteur nous décrit une société dans laquelle le désespoir a entraîné de très nombreux adultes vers les opium houses, avec toutes les problématiques que cela soulève – déchéance, prostitution pour se procurer l’argent nécessaire…
Bref, la description de ce pays est brutale. Et pourtant, on sent que Cédric Bannel est en quelque sorte sous le charme de ce pays – un point que nous essaierons d’approfondir prochainement avec lui -. Il semble y avoir un contraste de majesté et de bassesse. À la fois dans les paysages et les lieux, et chez les hommes, certains abusant de leur pouvoir sans états d’âme, alors que d’autres se battent pour conserver leur humanité, et sont d’autant plus admirables pour cela.
Oussama Kandar est, évidemment, la grande figure de ce livre. Cet homme, profondément croyant, est touchant dans son amour profond et sincère pour sa femme, Malalai, médecin et féministe, dans un pays qui n’est tendre ni avec les uns, ni avec les autres ; il est beau dans son irréductible volonté de ne pas plier face au mal ; il est émouvant dans sa façon d’essayer de survivre malgré les vies qu’il a du prendre ; il est impressionnant dans ses capacités de combattant… Bref, il est multi-facette, et cela le rend d’autant plus humain.
Ce livre, je l’ai littéralement dévoré. Pratiquement 500 pages en deux jours. Et je vais le recommander à tous ceux qui aiment les romans noirs – parce qu’il est noir ! -, les thrillers, et tous ceux qui aiment voyager – quand je dis voyager, j’entends par là découvrir des pays, des personnes différentes, pas aller s’enfermer dans un club pour se reposer, ce qui est également très honorable, mais dans un style différent !
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