« Je l’ai vue défiler devant moi, cette vie, et je l’ai refusée. Pierre était dans mes bras et déjà je ne le supportais plus. J’avais perdu tout espoir, l’humanité m’avait quittée, j’étais dans une impasse, je me débattais et il fallait que j’en sorte. À toute force. À tout prix. Il fallait que cela cesse. »
Mathieu Menegaux, Je me suis tue, Éditions Points, 2017, p. 98.
Motivations initiales
Lors de la rentrée littéraire, j’avais lu Le malheur du bas d’Inès Bayard, lecture captivante qui m’avait vraiment remué les tripes… Mais, en lisant ce que la blogosphère pensait de ce livre, nous avons découvert l’espèce de polémique qui le concernait, beaucoup de lecteurs évoquant une grande proximité avec le roman de Mathieu Menegaux, Je me suis tue. Ayant déjà lu Un fils parfait et ayant trouvé cela très bien, il fallait donc je me fasse mon idée sur son premier roman.
Synposis
Claire nous livre un récit glaçant – ou plutôt son histoire – du fond de sa cellule dans la prison de Fresnes. Cette femme, à qui tout réussissait sur le plan personnel et professionnel, se retrouve aujourd’hui derrière les barreaux car elle est accusée d’homicide volontaire sur Pierre, son bébé.
Cette jeune mère a été victime d’un crime odieux, un viol, dans un souterrain lugubre de la capitale. Elle a tenté d’oublier, de ne plus y penser pour éviter les ennuis, les répercussions sur son couple, sa carrière professionnelle et celle de son mari. Mais malgré son fort caractère et sa volonté, Claire n’a pas pu tenir, elle a entamé une longue et douloureuse descente aux enfers jusqu’à étouffer son propre fils…
Avis
> L’avis de C
Construire un avis pertinent sur ce livre ressemble un peu à rédiger une dissertation lors d’une des épreuves de l’agrégation d’histoire pendant sept longues heures… Je m’explique : il y a tellement tellement tellement de choses à dire que je ne sais pas comment faire pour rendre un bel hommage à ce premier roman de Mathieu Menegaux.
Les premières phrases du roman sont percutantes, tout autant qu’elles sont intrigantes. Le lecteur est directement happé dans un tourbillon, on ne peut pas lutter, on est happé par l’histoire et également par l’écriture de l’auteur – Mathieu Menegaux est en effet un habile manipulateur : dans les premiers chapitres, il donne peu d’informations, peu de précisions mais il nous expose à l’horreur du viol et de l’infanticide. Il a le don pour poser une chape de plomb et parvient brillamment à nous faire palpiter le cœur.
Le personnage de Claire est vraiment très bien travaillé. Ses actes et ses ressentis sont extrêmement bien décrits et analysés par l’auteur, qui donne l’impression de bien comprendre les femmes et le rapport si complexe qu’elles ont vis-à-vis de leur corps. Le mutisme dans lequel Claire s’enferme m’a énormément fait penser à une devise d’une grande famille, les Windsor « Never complain, never explain« , autrement dit ne jamais se plaindre et ne jamais se justifier, oublier les drames, ne pas en parler. Claire essaye de faire « comme si » mais, au final, elle va se faire rattraper par ses démons.
Le pire dans tout cela, c’est sûrement que l’on peut rien faire, que l’on voudrait vraiment aider Claire, la conseiller, lui dire qu’elle doit parler, mais on assiste à tout cela, médusés… La mécanique mise en place par Mathieu Menegaux dans ce roman est implacable et sensationnelle !
Si vous avez le cœur bien accroché, je vous conseille ce court et intense roman mais choisissez quand le lire car, sincèrement, on n’en ressort pas indemne. Petit bémol ? Les titres de chansons tout au long du roman. Pour moi, cela n’apporte rien.
Pour finir, revenons sur la « polémique » au sujet du livre d’Inès Bayard. Certes, les deux histoires se ressemblent. Dans les deux cas, elles partent d’un viol. Mais, première différence : alors qu’ici, l’agresseur est un SDF, et le viol la conséquence d’un malheureux hasard, dans Le malheur du bas, l’agresseur est le patron de Marie. Mais ce ne sont pas les premiers viols dans la littérature, et évidemment pas les derniers. Ensuite, les deux « héroïnes » se murent dans le silence et le déni, mais n’est-ce pas une réaction très courante chez les victimes de viol ? Et toutes les deux se retrouvent confrontées au fait que le viol aboutit à une grossesse, ce qui n’a rien non plus d’exceptionnel. Autre différence forte, alors qu’ici Claire tue son bébé dans une tentative de sortir du cercle infernal dans lequel elle se retrouve prise, Marie, dans Le malheur du bas, en vient à une solution encore plus extrême, qui se termine par l’extermination de toute la famille.
Mais, surtout, à aucun moment il n’y a reprise de tel ou tel chapitre. Alors, oui, l’histoire part sur de mêmes bases. Mais le fait qu’une histoire a déjà été écrite devrait-elle interdire d’en proposer une nouvelle version ? De mon point de vue, la réponse est NON : du moment que la perspective diffère, que l’on ne reprend pas des extraits, que l’on déploie un autre style – et Dieu sait qu’Inès Bayard propose une version bien plus trash que celle de Mathieu Menegaux -, je ne vois pas où est le problème !