À travers livres : le chevalier.
Il nous arrive, chez Ô Grimoire, de lire du médiéval-fantastique – pour ne pas dire de la fantasy -, voire même des romans de cape et d’épée. Et l’une des figures centrales de ces littératures est celle du chevalier. Ceci est d’autant plus étonnant que, si l’idée de combattre à cheval apparait très tôt – César désigne l’ensemble de la classe guerrière celte sous le terme d’equites, par opposition à la classe sacerdotale des druides -, c’est bien la chevalerie médiévale qui a pris toute la place, et ce dans toutes les littératures modernes. Et, en effet, comme le note Franco Cardini, « dans l’imaginaire de l’Occident, le chevalier est une figure intemporelle » (La Culture de la guerre, Gallimard, 1992, p. 15. ).Comme l’indiquent Jean Chevalier – amusant hasard – et Alain Gheerbrandt dans leur Dictionnaire des symboles (Éditions Robert Laffont / Éditions Jupiter, 1982, p. 232), « L’idéal de la chevalerie se résumerait en un accord de loyauté absolue envers des croyances et des engagements auxquels toute la vie est soumise ». Ce ne sont donc pas les reîtres – qui sont pourtant des cavaliers germaniques, mais qui, eux, incarnent la brutalité la plus aveugle – que comptaient les rangs de cavalerie qui sont passés à la postérité, mais bien ces chevaliers courtois, cultivés, raffinés dont nos romans conservent aujourd’hui l’image.
Finalement, le roi est une figure bien moins intéressante que celle du chevalier. Le roi est un chevalier qui a réussi, pourrait-on dire, en paraphrasant Jean-François Kahn et sa formule consacrée aux religions et aux sectes. Et sans doute la réussite est-elle bien moins matière de romans que la quête…
Le chevalier est « maître de sa monture », disent Jean Chevalier et Alain Gheerbrandt (p. 233), cette monture pouvant, par extension, être un véritable cheval, mais aussi la représentation de son propre moi, ou le dévouement dû à une dame, ou encore l’objet d’une quête – vous sentez déjà arriver le Graal, naturellement ! En réalité, le chevalier fait don de lui-même, à Dieu, à son roi, à la patrie, à une dame. Par essence, le chevalier est un servant, au point que l’on a institué l’idée même de « chevalier servant », de sigisbée…
Cette dimension spirituelle de la chevalerie dépasse le contexte militaire. Cela s’exprime d’ailleurs dans le rituel de l’adoubement. Née au Moyen Âge, cette cérémonie est, au début, un rite de passage qui marque la fin de sa formation. À cette occasion, son mentor – souvent celui qui s’est chargé de l’entraîner – lui remet ses armes. Mais, rapidement, l’Église s’empare de la pratique, et l’on voit apparaître, dès le XIe siècle, une liturgie de l’adoubement. Le rite de passage devient un rituel religieux. Le bain devient une purification ; la veillée d’arme est – censée être – l’occasion d’une méditation.
Enfin, à compter du XIIe siècle, l’adoubement devient signe de noblesse. Seuls les fils de chevaliers peuvent y accéder. Dès lors, la cérémonie devient un marqueur social, dont le panache permet de se positionner dans le monde. Elle ne signale plus la fin d’une formation, mais constitue un honneur accordé à la frange la plus élevée de l’aristocratie.
Les valeurs traditionnelles du chevalier sont la bravoure, la foi, l’honneur, la piété, l’humilité… et la courtoisie ! Le chevalier se bat avec courage, et peut se sacrifier pour une noble cause, jusqu’à la mort. Il lutte contre les forces du mal, sous quelque forme qu’elles se présentent. Il est d’ailleurs à noter que, dans certains cas, Chevalier et Gheerbrandt signalent qu’un chevalier peut lutter contre les institutions de la société dans laquelle il évolue, si celles-ci vont à l’encontre de ses valeurs. Les chevaliers, premiers hackers « white hat » de l’humanité ? Malheureusement, ils ne donnent pas d’exemple, et je n’en trouve pas moi-même…
Le chevalier dans nos lectures
Là, pour le coup, on pourrait y passer des heures – voire davantage – et des pages – et encore… -. Mais on va rester sur un échantillon, en tâchant de faire qu’il soit représentatif…
On ne peut pas, ici, ne pas signaler La chanson de Roland, chanson de geste, qui met en scène la fine fleur – ou supposée telle – de la chevalerie française, en la personne de Roland, le « neveu » (à la mode de Bretagne) de Charlemagne et de ses compagnons. Les historiens ont montré depuis qu’il s’agit, ni plus ni moins, d’une œuvre de propagande, chargée de motiver les masses à l’occasion des Croisades en suscitant la haine des Sarrazins, censés avoir tué le brave Roland à Roncevaux. Lequel a très probablement été en réalité occis par des Basques quelque peu à cran après que Charlemagne eût saccagé quelques uns de leurs châteaux… Il existe d’autres Gestes, mais elles sont moins connues. J’ai eu l’occasion de lire également une version modernisée des Quatre fils Aymon, ce qui doit encore moins parler à la plupart d’entre vous…
Je ne serais pas moi-même si je n’évoquais pas ici les légendes arthuriennes, et les innombrables reprises qui en ont été faites. En vrac, et sans chercher à respecter une quelconque chronologie, citons les versions de Mary Stewart, dont j’ai déjà évoqué Le roi de lumière, de Stephen Lawhead, mais également l’inégalable, l’incontournable – pour moi -, de Guy Gavriel Kay, La tapisserie de Fionavar.
Ensuite, il y a toute la série des « classiques », romans historiques et romans de cape et d’épée, qui se rapprochent parfois, au rang desquels on peut signaler Les trois mousquetaires, Le Bossu, Quentin Durward, Ivanhoé, Le chevalier Bayard… Certains sont inspirés de personnages réels, d’autres non. Mais tous partagent des valeurs communes. Et parfois, dans certains livres dont le héros est un autre personnage, il est des chevaliers, sans peur et sans reproche, et d’autres qui sont moins remarquables, voire carrément odieux. On peut évidemment penser à Robin des bois, dans lequel le Sheriff de Nottingham incarne le mal, et Richard Cœur de Lion le bien.
Et puis on pourrait consacrer encore bien des lignes à passer en revue l’attitude chevaleresque de certains personnages de Tolkien, mais aussi de la droiture de Ned Stark dans Le trône de fer, ainsi que les caractéristiques des chevaliers mis en scène par Tad Williams ou Robert Jordan. David Eddings, lui, a plutôt choisi de les déporter en second plan, ces fameux chevaliers, pour mettre davantage en lumière les personnages plus atypiques et plus tortueux : des brigands au grand cœur, des magiciens plus ou moins adroits…
Je pense également ici à Régis Goddyn dont la série Le sang des 7 rois m’a offert de beaux moments de lecture. Qu’il en soit remercié !
La figure de Don Quichotte est, pour sa part, complexe, et donne encore lieu à des interprétations diverses. S’agit-il d’une pure parodie des mœurs médiévales et des – vaines – valeurs de la chevalerie ? Quoi qu’il en soit, comique pur, satyre sociale ou réflexion politique, ce roman a marqué d’une empreinte profonde toute la littérature mondiale !
Dans les versions récentes, il est amusant de voir apparaître des variations en terme de genre – avec Kristen Britain, par exemple, et son personnage féminin dans la série Cavalier vert -, ou de type – on peut penser au mercenaire, descendant des anciennes races mis en scène par Fabien Cerruti dans Le Bâtard de Kosigan -. Et même des personnages qui n’ont jamais réussi à accéder au rang de chevalier, comme le sénéchal dans le roman éponyme (tome 1) de Grégory Da Rosa, mais y aspirent… y parviendra-t-il dans les tomes suivants ?
Enfin, pour terminer, citons quelques chevaliers présents dans la littérature jeunesse, avec la même évolution que celle constatée chez les adultes. Là aussi, en effet, le mythe du chevalier est revisité, son image de combattant est challengée par d’autres. Ainsi, dans la série L’apprenti d’Araluen, John Flanagan met en scène un orphelin qui ne rêve que de devenir chevalier. Mais Will, un peu trop fluet, n’est pas choisi lors de la cérémonie du choix. Il se retrouve apprenti de Halt, le rôdeur, dont personne ne sait très bien ce qu’il fait exactement. Et Will va découvrir que, finalement, être rôdeur est également une tâche noble…
Et vous, quels sont vos chevaliers de référence ?