Chronique de De profundis, d’Emmanuelle Pirotte.
« Qu’est-ce que cet amour maternel dont tout le monde parlait, consumant, aveugle, inconditionnel, infini ? Toutes les mères doivent éprouver ce sentiment, paraît-il, et en être transfigurées. Mères, pour toujours et à jamais. Roxanne est dénaturée. Quelque chose en elle ne s’est pas produit à la naissance de Stella, alors que l’infirmière la couchait sur son ventre. Le visage chiffonné, les mains fripées et tendues vers le vide ne l’avaient pas émue. »
Emmanuelle Pirotte, De profundis, le cherche midi, 2016, p. 124.
Motivations initiales
Après avoir lu et apprécié Loup et les hommes, et D’innombrables soleils, j’avais évidemment très envie de découvrir les livres précédents de l’auteure. Merci Benoît pour cette occasion de découvrir ce De profundis…
Synopsis
Dans un proche avenir, le monde tel que nous le connaissons s’est effondré, sous l’effet d’une pandémie, Ebola III. En Europe, le système de santé s’est affaissé, la production d’électricité ne suffit plus et les coupures se succèdent, les trafics ont explosé et le fanatisme gagne. Des groupes armés mènent des razzias…
À Bruxelles, Roxanne, avec Mehdi, survit en revendant des médicaments de contrebande. Mais comme beaucoup, elle n’imagine plus d’avenir… Mais son ex-mari, qu’elle a quitté peu après la naissance de leur fille – elle avait choisi de disparaître de leurs vies – la retrouve, et lui demande de prendre en charge Stella, une fillette étrange qui ne parle pratiquement pas.
Roxanne hésite, mais accepte finalement de se charger de la petite fille. Après que leur immeuble ait été attaqué par une bande, elles partent se réfugier dans une maison de famille où Roxanne n’a plus mis les pieds depuis longtemps, dans un petit village…
Avis
Première remarque, cela fait le troisième livre traitant d’une pandémie et sorti avant ce que nous savons dont j’entends parler. Lawrence Wright avait publié, début 2020, Contagion ; Peter May, pour sa part, a écrit voilà 15 ans le livre qui vient de paraitre, Quarantaine, et qui décrit Londres coupée du monde, les masques désagréables à porter, les espoirs autour de vaccins à venir, les morts privés de funérailles… et même les fêtes clandestines.
Et cela me semble répondre à l’une des mes interrogations depuis maintenant 1 an. Pour ma part, j’ai l’impression d’avoir, ces dix dernières années, plusieurs experts exprimer le fait que, forcément, un jour ou l’autre, une pandémie de ce type se produirait. Que la question n’était pas de savoir si cela se produirait, mais quand cela nous arriverait. Et pourtant, tout le monde a eu l’air étonné, quand, en effet, cela nous est arrivé. Comment est-ce possible ?
Et ces trois livres le montrent : ils savaient, nous aurions dû savoir. Cela n’enlève rien au fait que c’est très compliqué à gérer, que connaître un risque ne le diminue pas. Mais pourquoi, collectivement, avons nous joué à ce point les autruches ?
Bref. Cette pandémie n’est, en réalité, pas le sujet central de ce livre. Emmanuelle Pirotte en fait le décor de ce livre, mais, en quelque sorte, la maladie s’éclipse lorsque Roxanne et Stella arrivent à Saint-Fontaine. Naturellement, elle est encore là, noyée dans la toile de fond, mais elle ne s’invite plus sur le devant de la scène.
En revanche, un autre thème, une variation apparait alors. La dureté de la nature laisse la place, et ce n’est probablement pas totalement un hasard, à la violence des hommes. Du père de Jacky, d’abord, vieux paysan qui ne semble pas lâcher son fusil, qui a encore une emprise incroyable sur son fils, Jacky, pourtant adulte, majeur et vacciné ; Jacky lui-même n’est pas tout blanc…
Un autre personnage apparait également, qui fait d’ailleurs le lien entre ce livre et ceux que j’avais lus précédemment de l’auteure, et qui se déroulaient tous à l’époque moderne, et, pour l’essentiel, au XVIIe siècle… Et qui fait de cette histoire un conte. Entre parenthèses, j’adorerais avoir un livre sur ce personnage, si jamais, Madame Pirotte…
Ce qui est à la fois beau et parfaitement tragique dans ce livre, c’est de voir comment ces deux femmes, Roxanne et Stella, se côtoient, se croisent, se reniflent, s’observent, se cherchent. Et ne se trouvent pas totalement, même si… Même si, en réalité, chacune évolue, fait un pas. Mais sans parvenir à partager ce lien qui se tisse, mais dont un autre semble être l’axe…
Livre curieux, peut-être moins accessible que les deux autres évoqués précédemment. Qui nécessite de se laisser porter par la magie de ce récit. Mais qui participe de l’œuvre qu’Emmanuelle Pirotte est en train de construire !
