« … il n’envisage pas de vivre plus longtemps sans posséder la fameuse pièce d’identité qui autorise un adulte à s’asseoir au volant d’un véhicule automobile, puis à tourner la clé de contact pour démarrer le moteur avant de desserrer le frein à main, d’appuyer sur la pédale de débrayage, d’enclencher la première vitesse, puis d’exercer une légère pression du pied droit sur l’accélérateur tandis que du gauche on embraye, série d’opérations grâce à quoi l’on conduit sur la route une voiture d’un point à un autre… »
Matthieu Jung, Le triomphe de Thomas Zins, Éditions Points, 2018, p. 807.
Motivations initiales
Ayant la chance de faire partie du jury du Prix 2019 du meilleur roman des lecteurs de POINTS, nous avons reçu les premiers livres de la sélection, dont celui-ci.
Sixième lecture, sixième chronique.
Synopsis
Thomas Zins, né dans une famille bourgeoise, a 15 ans lorsque nous faisons sa rencontre. Il est puceau, il est complexé, persuadé que son sexe minuscule fera rire toute femme qui aurait l’occasion de s’y confronter. Bref, il broie du noir, fantasme sur tous les modèles féminins possibles et imaginables.
Dans sa classe, Céline rame. L’école, ce n’est pas fait pour elle, elle n’en comprend pas les règles. Et puis, surtout, elle a une série d’obstacles à surmonter : son père la bat, sa mère ne l’aime pas, lorsqu’ils habitaient dans une cité, elle a subi les viols répétés de deux petites frappes. Alors, l’école…
Thomas commence à aider Céline, il a le droit de s’asseoir à côté d’elle en cours, de venir l’aider à faire ses devoirs chez elle. Du coup, elle le remercie de la seule façon qu’elle connait, en lui faisant découvrir les joies du sexe. Mais chacun découvre alors ce à quoi il ne s’attendait pas. Céline découvre qu’elle peut encore s’attacher à un garçon ; Thomas, lui, découvre qu’il n’est pas le garçon dont il rêvait. En effet, dans les premiers temps, il se sent investi d’une mission, celle de rendre Céline heureuse, de l’amener à progresser, d’être son sauveur. Jamais il ne l’abandonnera.
Pourtant, alors qu’elle apprend petit à petit, et parfois dans la douleur, à comprendre les règles du jeu de la société, lui découvre qu’il n’est pas inné d’être fidèle. Et, surtout, un été, à l’occasion d’une rencontre avec un auteur et acteur parisien ouvertement homosexuel et pédophile, il en vient à questionner sa sexualité…
Avis
> L’avis de T
Il serait peut-être abusif, ou, au minimum, facile, de dire que je sors de ce livre avec la gueule de bois. Mais, au-delà du calembour, si je ne peux pas dire que je n’ai pas aimé ce livre, il serait tout aussi exagéré de dire que je l’ai aimé. Bref, tout tangue… si j’ose dire, au risque de donner l’impression que, décidément, je ne me refuse aucune facilité en filant la métaphore.
Thomas Zins, sincèrement, est absolument insupportable. Pendant les 350 premières pages de ce livre, environ, il semble n’avoir d’intérêt que pour sa bite. Pour laquelle, pour être totalement honnête, je n’ai pas ressenti aucun intérêt particulier. Puis lui vient – et même pas tout seul, il a fallu qu’on le lui suggère assez lourdement – une interrogation métaphysique : « et si j’étais homosexuel ? ». Cette interrogation non plus ne m’a pas parue d’un grand intérêt, il se trouve que je ne fais pas d’études de psychologie.
Pourtant, je suis de la même génération que les principaux protagonistes de cette histoire. J’ai vécu l’élection de Mitterand en 1981 et sa réélection en 1988, la défaite de l’équipe de France de football en demi-finale du Mondial espagnol en 1982, la victoire au Championnat d’Europe des nations en 1984 puis la nouvelle défaite en demi-finale toujours au Mexique en 1986 – cela doit sembler bien loin à ceux qui n’ont connu qu’une, et maintenant deux étoiles sur le maillot bleu… J’ai connu le Top 50, les manifestations contre la loi Devaquet et la sidération de la mort de Malek Oussekine, les début de SOS Racisme. J’aurais pu – et j’aurais adoré retrouver ma jeunesse.
J’habite depuis quelques années près de Nancy, je connais donc assez bien les lieux décrits dans ce livre, et je comprends une partie des expressions que l’auteur emploie. Cela aussi aurait pu – dû ? – créer de la proximité.
Pourtant, les passages les plus intéressants, pour moi, ce sont ceux qui se déroulent en Indochine, à l’autre bout du monde, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Et qui n’ont d’ailleurs, au final, qu’un rôle assez limité dans l’histoire, ce que je regrette un peu. On suit également, à un moment, un dénommé Daniel, je crois, qui court le monde pour tourner des films pédophiles. Ce passage-là non plus n’est pas vraiment exploité…
Bref, je reste franchement sur ma faim alors que tout semblait devoir m’amener à crier au génie. Mais non, je suis sur le bord du chemin, et je regarde la caravane qui s’éloigne (Joop Zoetemelk, cité dans le livre, ne m’a pas emmené dans son sillage).
En fait, je n’arrive pas à décider si l’auteur a choisi d’effectuer sa psychanalyse en écrivant ces pages – auquel cas j’espère qu’il est parvenu à trancher la question de savoir s’il est hétéro, homo, bi, ou quoi que ce soit d’autre -, ou s’il s’agissait de proposer le portrait désabusé de la génération née aux environs de 1968. De l’espoir immense soulevé alors, qui s’est dissous dans l’affairisme et le clientélisme. Mais je n’ai pas le sentiment que tout cela nécessitait les pratiquement 1100 pages qui y sont consacrées… Et, par moments, j’ai eu l’impression désagréable que l’auteur avait potassé toutes les dates proposées dans Wikipédia pour les années 1981 à 1991, quitte à les coller parfois de manière un peu forcée.
J’ai même vu, sur Instagram, l’annonce de son nouveau roman… dont il donne déjà la trame, comme un teasing, à 100 pages de la fin de celui-ci. N’est-ce pas pousser un peu loin la promotion ?
Bref, le pavé, s’il se lit assez bien, m’a semblé roboratif à l’excès, et parfois un peu gratuitement. Et c’est la raison d’être du choix de la citation choisie : techniquement irréprochable dans l’écriture, techniquement précise dans la description de l’action, mais avais-je besoin de cela pour comprendre l’idée ? Peut-être pas, et sans doute pas au point d’en faire, comme semblent le faire certains critiques, un « livre culte »…
En revanche, mention spéciale : une bande-son spécial « revival« , du très lourd. On peut évidemment noter quelques oublis, mais on n’a aucune difficulté à imaginer l’univers sonore qui accompagne cet ouvrage !
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