Drame, Psychologique, Roman

Treize jours

« Il a fallu une heure pour me faire sortir de la remise. Michael et Glen et des amis de la famille avaient passé toute la nuit à me chercher. C’était Michael qui m’avait suivie, mais dans ma terreur je n’entendais que le commandant. Je suis restée pelotonnée dans ce recoin, à hurler, tandis que les hommes essayaient de m’approcher. C’était trop, se retrouver de nouveau dans une cage si petite, avec autant d’hommes regroupés autour de moi. Alors quelqu’un est allé chercher Lorraine. Elle a fait sortir les hommes et elle a fermé la porte. Nous n’étions plus que nous deux. Elle s’est agenouillée à côté de moi, elle a retiré mes bras d’au-dessus de ma tête. « Allons, allons », a-t-elle dit en détachant prudemment mes doigts de la cisaille. Elle m’a gentiment pris les mains. Elle m’a dit mon nom, et que j’avais un mari et un fils qui m’attendaient. Elle m’a dit que j’étais en sécurité et que j’étais aimée. Elle a répété ces choses encore et encore jusqu’à ce que je sois capable des les croire. »

Roxane Gay, Treize jours, Éditions Points, 2019, p. 356.

Motivations initiales

Bannière fb PMR 2018Ayant la chance de faire partie du jury du Prix 2019 du meilleur roman des lecteurs de POINTS, nous avons reçu les premiers livres de la sélection, dont celui-ci.

Huitième lecture, huitième chronique.

Synopsis

Mireille est d’origine haïtienne : ses parents, après avoir quitté l’île pour les États-Unis, sont retournés s’installer à Port-au-Prince, où son père, devenu architecte, est désormais l’un des hommes les plus riches d’Haïti. Mireille, elle, est restée aux États-Unis, où elle a épousé Michael, eu un bébé, et où elle est avocate.

À l’occasion des vacances, la petite famille est venue passer quelques jours dans la résidence hautement sécurisée des parents de Mireille. Mais, alors qu’ils partent pour passer l’après-midi sur une plage, pour que Christophe, le bébé, puisse découvrir la mer, ils sont attaqués. La cible, c’est Mireille : en enlevant la fille d’un homme riche, ses agresseurs comptent bien toucher une forte rançon.

Mais c’est sans compter avec la rigueur inflexible de Sébastien, le père. Il refuse de négocier, de peur que, s’il cède, après sa fille, les ravisseurs ne s’en prennent à d’autres membres de la famille. Mireille reste entre les mains du Commandant et de ses hommes pendant treize jours – d’où le titre du livre. Violée, frappée, ils cherchent à la briser. Et ils y parviennent presque…

La deuxième partie du livre raconte, après la libération, toute la difficulté qu’il y a à continuer à vivre après un tel épisode traumatique. Mireille, naturellement, ne supporte plus ni d’être enfermée entre quatre murs, ni d’être approchée par des hommes, sans même parler de la toucher. Elle refuse alors de voir un médecin, ne peut pas avaler quoi que ce soit qui la « remplirait ». Elle est également profondément blessée par l’attitude de son père qui a réagi rationnellement, avec un détachement glacial.

Parviendra-t-elle à « revenir » ? Saura-t-elle trouver une aide pour l’accompagner ? Parviendra-t-elle, même si sa vie d’avant s’est terminée dans une cage d’Haïti, à s’inventer une nouvelle vie ? Son mari et son fils auront-ils une place dans cet « après » ? Ce sont toutes ces questions auxquelles Treize jours apporte une réponse…

Avis

> L’avis de T

Le livre est divisé en deux parties. La première partie, celle qui décrit les treize jours du cauchemar que traverse Mireille, est – même si c’est assez horrible à dire – assez attendue. Presque « classique ». On y retrouve des choses déjà lues ailleurs, sur l’enfermement, sur la violence des hommes qui la séquestre, sur les viols répétés, sur la façon dont Mireille, pour résister et ne pas imploser, cherche à se séparer de ses émotions et de son corps.

L’ambiance est au sordide. Et, comme Mireille, on reste abasourdi devant la distance que prend son père. Oh, certes, les arguments de ce dernier sont raisonnables. Marqués au coin du bon sens, notamment dans cette société haïtienne dans laquelle les enlèvements sont une façon presque courante de gagner de l’argent. Mais autant on n’est pas surpris que le négociateur embauché par son père tienne un tel discours, autant il est dur à avaler de la part d’un père…

Et puis, dans la seconde partie, le livre prend son envol. Oh, cela reste une lecture dure. Mireille est en permanence à la limite de la rupture, mais comment pourrait-on s’en étonner ? Elle ne parvient pas à parler de ce qu’elle a subi, elle ne parvient pas, après s’être distanciée de son corps – elle se considère comme morte, et parle de l’autre femme, celle qui avait un mari et un bébé -, à revenir l’habiter.

Naturellement, tout cela est extrêmement compliqué pour son entourage, pour son mari, pour sa sœur, qui ne peuvent pas accéder à ce qu’elle traverse. L’attitude de son mari, si elle est maladroite, nous pourrions tous avoir la même : il a le sentiment d’avoir traversé l’horreur – alors que de la véritable horreur, il n’a pas idée -, et il pense que, Mireille libérée, tout peut redevenir miraculeusement comme avant. Mais Mireille ne supporte pas qu’il la touche, elle voudrait, parfois, mais ne peut même pas venir se blottir dans ses bras…

Et c’est peut-être la plus belle idée de ce livre : celle qui va finalement parvenir à trouver la bonne distance avec Mireille, c’est sa belle-mère. Ses beaux-parents, avec qui jusque là les rapports étaient assez compliqués – les agriculteurs du Mid-West (me semble-t-il) ne sont pas forcément les plus ouverts du monde -, ne l’ont pas accueillie très chaleureusement, notamment sa belle-même, justement. Pourtant, lorsque celle-ci a été atteinte d’un cancer, Mireille est venue l’accompagner.

Et, finalement, ces deux femmes vont se rencontrer. Petit à petit. Et, là, c’est une très belle histoire de tolérance, d’acceptation, de patience.

Pas de happy end, jamais Mireille ne retrouvera ce qu’elle appelle l’Avant. Mais une façon adoucie, tendre et humaine de dépasser l’indicible, l’horreur. La résilience. Un roman qui mérite d’être lu. Pour réfléchir sur ce que les hommes font aux femmes.

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2 réflexions au sujet de “Treize jours”

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