Chronique de Sirènes, de Joseph Knox.
« Le Virus était une légende urbaine incarnée. Autrefois héroïque consommateur d’héroïne, il avait perfectionné un style nommé « cannibalisation ». Il était le chiffonnier de la drogue. Il ramassait la drogue dont même les junkies purs et durs ne voulaient pas, et il se l’injectait. Pour lui, utiliser l’aiguille d’une autre personne constituait un trip en soi, et il mélangeait les fonds de seringues pour confectionner son propre cocktail. »
Joseph Knox, Sirènes, Le Livre de Poche, 2019, p. 215.
Motivations initiales
Nouvelle lecture dans le cadre du jury Polar du Prix des lecteurs du Livre de Poche 2020. Un « roman noir social », pour reprendre le mot de Page des libraires, qui se déroule en Angleterre…
Synopsis
À Manchester, Aidan Waits est inspecteur. Mais sa carrière ne tient plus qu’à un fil, car il a commis sa « troisième faute éliminatoire ». En l’occurrence, celle d’avoir substitué à un sachet de drogue trouvé sur une jeune musulmane, injustement traitée par son chef de patrouille, du talc… et de s’être fait prendre sur le fait.
Résultat, le superintendant Parrs lui donne un dernier choix – tout en lui conseillant clairement de prendre la première option – : soit il est renvoyé sur-le-champ, poursuivi, condamné et emprisonné, soit il accepte de mener une mission en sous-marin au sein des milieux de la drogue. Pour cela, sa disgrâce sera rendue publique, il sera traîné dans la boue. L’objectif final : identifier le ou les policiers ripoux qui, de notoriété publique, renseignent les trafiquants et en particulier Zain Carver, le parrain qui règne sur la ville…
Alors Aidan se met à fréquenter tous les lieux de perdition de la ville, où sa réputation de flic aux mains sales le poursuit. Il est comme infiltré, et doit notamment laisser fuiter des informations qui permettront d’identifier les taupes.
Et puis un député le convoque. Sa fille, 17 ans, a fugué, et elle aussi gravite autour de Zain Carver. Il faut la retrouver, et la convaincre de revenir à la maison…
Avis
Voilà un livre qui se mérite ! D’abord parce qu’il est dur, la citation qui ouvre cette chronique le montre suffisamment, me semble-t-il. On hante, avec Aidan, les bas-fonds que, pour la plupart d’entre nous, nous n’avons jamais eu l’occasion de seulement imaginer – et heureusement ! Il n’y a que des éclopés : éclopés de la vie, éclopés du sentiment, qui ont vécu la trahison, la violence, l’abandon, et qui en sont sortis cassés. Au-delà du réparable.
Alors ils cherchent un échappatoire, dans l’alcool, dans la drogue, dans la fuite, dans l’argent plus ou moins facile. Mais le prix à payer est souvent terrible. Et Aidan, qui n’est pas mieux lotis que tous ceux-là, lit dans leurs yeux cette désespérance, ce renoncement. Ils sont, pour certains, déjà morts.
Les filles servent dans les bars, elles se prostituent pour se payer leur dose, elles transportent la drogue ou ramènent l’argent aux dealers. Les hommes font le coup de poing, violentent et violent. Ils brisent des os, cassent des nez, et regardent le sang couler. Chacun fuit quelque chose, son passé, ses souvenirs, son bourreau. Et, pour tenir encore un peu debout, alcool ou chimie, jusqu’à la dose de trop.
Aidan est comme tous ceux-là. Seules les amphétamines lui permettent de tenir. Alors il se sent invincible. Mais que peut-il faire alors que tous semblent se liguer contre lui ? Chargé de retrouver Isabelle Rossiter, la fille du député, et de la sauver, comment imaginer que lui, l’homme aux ailes brisées, ait la moindre chance ?
C’est dur et brutal, donc, mais c’est aussi comme une promenade hallucinée dans une Manchester nocturne et glaciale. On passe de l’ombre à la lumière, les flashes sont soit ceux des véhicules de police, soit l’éclair de la lame du couteau. Parfois, comme au rythme du trip qui maintient Aidan en mouvement, on file au travers des événements, avant de s’écraser contre un mur. Nous aussi, nous sommes en plein trip, et c’est terriblement inconfortable.
C’est aussi cela, la lecture : se retrouver propulsés dans quelque chose qui nous heurte, nous secoue, nous retourne la tête.
Je sors de ce livre avec une gueule de bois. Sans pouvoir dire que j’ai aimé, mais incapable de nier que le job est fait. Comme Aidan, j’ai eu le sentiment d’être le jouet du hasard et du destin. Je n’ai pas vraiment aimé, mais ce n’est pas forcément un livre que l’on aime. C’est un livre que l’on vit, que l’on transpire, que l’on vomit, que l’on saigne.
C’est noir. Cru. Désespéré et, peut-être, désabusé. Ce n’est pas une lecture consensuelle, cela ne plaira pas à tout le monde. Et si vous vous lancez, n’oubliez pas votre torche !