Chronique de Palimpseste, d’Alexis Ragougneau.
« Entre ses pages se trouve une feuille jaunie par les ans que le vent déplie. « C’est tout ce qu’il m’a transmis, tu sais. Ça et le vieux stylo qui a servi à tracer ce point d’interrogation. » Ali éclate de rire : « Un livre, un stylo et une question. Qu’est-ce que tu veux qu’un père laisse de plus à son fils, Simon ? » Une rafale vient m’arracher le morceau de papier. J’essaie de le rattraper mais Ali m’en dissuade. »
Alexis Ragougneau, Palimpseste, Éditions Viviane Hamy, 2022, p. 303.
Motivations initiales
Après avoir lu et apprécié Niels et Opus 77, découvrir ce Palimpseste sur l’une des tables de notre librairie était, en soi, suffisant pour qu’il rejoigne nos étagères. Aucune raison, en effet, de ne pas faire une place à ce nouveau livre, d’autant qu’en quatrième de couverture, le résumé annonce des choses intéressantes. Alors, qu’a-t-il donc dans le ventre, ce livre ?
Synopsis
Aie… comment parler de ce livre, comment évoquer cette histoire ?
Simon est notre narrateur. Nous suivons, en parallèle, deux récits. D’une part, le récit de sa jeunesse, chahuté entre son père, archéologue, et sa mère, actrice. Livré à lui-même, souvent, entre ce père obsédé par « le sujet de sa vie », et cette mère, fragile, dont le succès à l’occasion de la première année d’une série sera le chant du cygne.
Simon, nous le retrouvons également 7 ans plus tard, alors qu’il est devenu troll dans une équipe qui prépare le terrain à la présidente de la République, populiste, adepte du national-consumérisme. Mais les histoires que l’on a voulu planquer sous les tapis finissent toujours par nous rattraper…
Et puis… il y a encore d’autres éléments, qui viennent s’intercaler, des définitions de mots, un compte-rendu historique.
Avis
Ce livre ne ressemble à aucun autre. D’abord, dans sa structure. 300 pages sans un paragraphe, sans un chapitre, sans parties. Le texte se suit, le passage d’un fil narratif à l’autre étant marqué par les extraits du compte-rendu historique, qui vient s’intercaler dans une typo plus grande. C’est assez déstabilisant, voire, disons-le, très déstabilisant, et pas uniquement dans le récit lui-même, mais également du simple fait que, lorsque vous reprenez votre lecture après une interruption, vous ne savez pas exactement où vous vous êtes arrêté.
Mais, en même temps, quels personnages incroyables ! Simon, déjà, le gamin livré à lui-même, souffre-douleur de ses camarades à l’école, et qui finit, pour essayer de s’en sortir, par brûler tout ce qui lui tient à cœur – au figuré ! -. La colère lui tient lieu de moteur, pour ne pas sombrer face aux humiliations, aux brutalités, aux désillusions. Fatigué d’être l’opprimé, il devient, presque sans s’en rendre compte, ou, du moins, sans l’avoir voulu, l’oppresseur.
Cela lui vaut d’être remarqué par Audrey. Audrey, c’est encore un sacré personnage ! Elle dirige le groupe de trolls, au service d’un gouvernement très à droite, alors que, les week-ends, la punkette fait le coup de poing dans un groupe du « Black Pack », qui semble très proche des black block, en plus d’être la chanteuse d’un groupe de punk-rock, Fukushima mon amour. Simon nous invite d’ailleurs à ne pas chercher de cohérence dans son parcours : il n’y en a aucune, nous indique-t-il. Mais elle est aussi inquiétante qu’elle est touchante, cette boule d’énergie toute en émotions, à fleur de peau, toujours au bord du gouffre.
Et c’est ce qui caractérise ce livre, en réalité. Chacun semble être en permanence à la limite de la rupture. Entre deux contradictions. Et cela humanise chacun d’entre eux, face aux quelques personnages-repoussoirs du livre, qui sont des blocs de certitudes.
La dimension dystopique du roman – nous n’avons pas encore totalement sombré dans le national-consumérisme, mais on imagine assez aisément comment on pourrait y arriver – fait froid dans le dos. L’exploitation politicienne de chaque petit ou grand événement nous rappelle tellement de souvenirs… Toute la réflexion autour du « roman national », de la façon dont les lieux de mémoire peuvent être mis au service d’une idéologie, de la manière, également, dont l’Histoire peut être instrumentalisée est également très intéressante. Quant à l’invention du « national-consumérisme », quelle brillante idée…
Enfin, on est obligé de signaler la belle érudition dont fait preuve l’auteur… Il nous avait déjà fait vibrer, dans Opus 77, avec Chostakovitch ; voilà qu’ici, il fait montre d’une connaissance d’auteurs mais aussi, et surtout, d’un bel amour de la littérature, à la fois rédemptrice et protectrice de la liberté humaine.
Alors, oserez-vous venir vous frotter à cet étonnant Palimpseste ? Ceux qui franchiront le pas ne seront, je le crois, pas déçus…
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.
