Chronique de Maktaaq, de Gildas Guyot.
« Trois ânes paisibles… si paisibles. Deux sont debout et veillent le troisième. Celui-ci est couché sur le flanc, en charpie. Il brille sous les rayons du soleil. Il n’en peut plus de déborder. Les ânes ne sont pas comme les tartines, ils ne tombent jamais côté confiture. De la croupe jusqu’à l’encolure tout est rouge et gluant, arraché. Dans la panique, il a traîné ses tripes sur trois pattes jusqu’à ce qu’il n’en ait plus la force. »
Gildas Guyot, Maktaaq, Éditions In8, 2020, p. 163.
Motivations initiales
Nous avions découvert Gildas Guyot avec Le goût de la viande, une valse entre un jeune homme et la mort, depuis les tranchées de la Première Guerre mondiale. Le livre était étonnant, l’histoire incroyable, l’écriture forte… Alors lorsque les Éditions In8 nous ont proposé de découvrir le deuxième livre de l’auteur, Maktaaq, annoncé comme radicalement différent, aucune hésitation ! Merci de nous avoir donné cette occasion !
Synopsis
Seth est un jeune homme de 23 ans, né dans une famille d’origine inuite. Après avoir, un temps, espéré percer dans le baseball, il traîne sa vie et sa carcasse entre petits boulots et aventures sans lendemain.
Ati, son grand-père, est venu s’installer dans la maison familiale à la mort de sa femme, Koko. Et il n’est pas venu seul : il est arrivé avec sa vieille Chevrolet Impala Super Sport 427 de 1967. Et, justement, un beau jour, il offre la voiture à Seth. À une seule condition : que celui-ci l’emmène à Las Vegas, jouer au casino.
Et c’est ainsi que Seth se retrouve embarqué dans une aventure qui va changer sa vie…
Avis
S’il y avait bien une chose que j’avais cru comprendre, c’est qu’avec Gildas Guyot, on ne peut jamais être sûrs de savoir où il va nous emmener. Son premier livre, Le goût de la viande, dégage une force, une puissance expressive incroyable, dans une grande noirceur. C’est, en fait, un livre dans lequel la mort est présente à toutes les pages.
Avec Maktaaq, a priori, on est dans quelque chose de totalement différent. Et, au contraire, en refermant ce livre, on a envie de dire que, dans ce deuxième opus, c’est la vie qui est présente à toutes les pages. Mais peut-être n’est-ce pas aussi simple que cela…
En tout cas, on a quitté le Vieux continent pour le Nouveau Monde (je n’ai pas dit celui d’après…). On est dans un quartier populaire de Los Angeles, habité majoritairement par des hispaniques. Là, on découvre une famille d’origine inuite, mais qui a adopté le mode de vie « à l’américaine » : chacun mange quand il le veut, les traditions ne sont plus qu’un lointain souvenir.
Lorsque commence ce road-trip à la sauce inuite, Seth a tout du jeune branleur qui ne fait pas grand-chose de sa vie. Le moyen le plus sûr de le reconnaître est que chacune de ses phrases commence par « putain ». Ati lui fait à la fois un petit peu peur, il ne sait pas comment l’aborder, et pourtant, il y a entre eux une forme de connivence, un fil ténu mais solide…
Ce voyage vers Las Vegas, nous dit la quatrième de couverture, c’est « à la fois un roman d’aventures, un western, un roman d’apprentissage, un conte philosophique, un précis d’ethnologie sur la culture inuite, un almanach de baseball ». Quand je lis ce genre de description, en général, je doute. Mais tout cela est vrai – sauf, peut-être, ce n’est pas aussi précis qu’un almanach de baseball.
Ce grand-père, un vrai taiseux, dont on ne sait jamais s’il dort ou s’il est éveillé, s’il plaisante ou s’il est sérieux, s’il ment ou s’il dit la vérité, c’est exactement LE grand-père, dans toute sa splendeur. D’ailleurs, je peux l’avouer ici, il n’est pas sans me rappeler le mien, avec qui je n’ai pas eu la chance de partager un tel road-trip, mais dont l’humour, la vitalité, le regard malicieux m’a accompagné tout au long de ma lecture.
Connivence, donc, et, sans que Seth s’en rende compte véritablement, transmission. Ce vieil homme, on le découvre en même temps que Seth, a appris de la vie, des blessures, des cassures. Parti d’Alaska pour trouver une vie meilleure, il expie encore cet abandon des siens et de la culture traditionnelle dont il est issu. Et il transmet cela à son petit-fils.
Les scènes s’enchaînent, mêlant un humour parfois tendre, parfois grinçant, et, surtout, une grande sagesse de vie. Je pense, par exemple, à la scène de la climatisation. La voiture est équipée d’une clim’, et Seth, lorsque la température augmente alors qu’ils entrent dans le désert des Mojaves, veut la mettre en marche. Mais son grand-père refuse catégoriquement : il ne « l’aime pas ». Incompréhension totale de Seth, qui ne voit que sa dimension utilitaire, le fait qu’il s’agit d’un objet prévu pour améliorer le confort. Mais Ati, lui, vit cette climatisation comme une façon d’expier : il a abandonné le peuple inuit, il peut bien souffrir de la chaleur !
Connivence, transmission. Il y a également deux autres mots, présents dans le livre, qui pour moi restent et résonnent après que l’on ait refermé l’ouvrage. Ubuesque… mais je ne veux pas trop spoiler, alors je vous laisse découvrir. Et incandescent. Incandescent comme le soleil qui frappe fort dans ce désert des Mojaves. Incandescent comme la vie d’Ati et de Koko. Incandescent comme l’amour qui, peut-être, va permettre réellement à la vie de Seth de commencer. Incandescent, enfin, comme la brûlure de cette vie d’Ati, qui laisse une trace dans celle de Seth.
Et puis… on est d’abord marqué par la différence qui semble exister entre ce livre et le précédent. La dureté du premier, la douceur – qui n’est pas exempte de brutalité – de celui-ci. Mais, en réalité, après quelques heures de décantation, j’ai en fait l’impression que ces deux « premiers romans » (encore un bout de la présentation qui figure en 4e de couv, que je reprends volontairement) parlent du même sujet. Dans le premier, c’était la mort, quasiment personnage principal, et sa danse avec un personnage pas réellement vivant. Et, ici, c’est la vie, mais dans laquelle la mort est toujours présente. Chez les inuits ou dans les tranchées, à Las Vegas ou à Verdun, la vie et la mort se mêlent, s’apprivoisent, se tournent autour…
En plus, on ne sait pas d’où Gildas Guyot tire sa connaissance des traditions inuites… mais il semble soit avoir vu de nombreux documentaires sur le sujet, soit y avoir passé quelques années. Dans une vie antérieure, peut-être ?
Un très beau livre, mais, surtout, je le crois de plus en plus, un très bel auteur !

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