Chronique de Presque génial, de Benedict Wells.
« Nous les mères ne savions pas en principe de qui venait le sperme. Tous les donneurs, nous disait-on, étaient beaux, en bonne santé et athlétiques. Ils avaient des pseudonymes tels que Donor Brian ou Donor Michael, et nous disposions de vagues informations sur leur profession, leur QI et leurs centres d’intérêt. On n’en savait pas davantage. […] Mais Monroe avait un assistant, un type falot appelé Andy, qui était amoureux de moi. Il a dérobé le dossier de ton père dans le bureau de Monroe. Ton père était diplômé de Harvard, il jouait du violon et avait un QI de 170. »
Benedict Wells, Presque génial, Slatkine & Cie, 2020, p. 102.
Motivations initiales
Ce livre nous a été proposé et envoyé par Slatkine & Cie, et comme nous avions déjà eu l’occasion de découvrir et d’apprécier les précédents livres de cet auteur, romans ou nouvelles, c’est naturellement avec plaisir que nous avons accepté !
Synopsis
À 17 ans, Francis habite avec sa mère dans le New-Jersey, dans un quartier de mobil-homes en périphérie d’une petite ville, Claymont. En observant ses voisins, il prend conscience qu’il n’a pas forcément toutes les cartes en main pour s’en sortir. À l’école, il fait partie des moutons noirs ; il a quitté l’équipe de lutte, après avoir compris que son niveau, honnête, ne serait pas suffisant pour percer. Sa mère, qui n’a jamais eu de chance avec les hommes, alterne les phases maniaques et les phases dépressives, et donc, au même rythme, les séjours en clinique. Bref, Francis se vit comme un raté en devenir.
Un soir, en rendant visite à sa mère, il aperçoit dans la chambre voisine une jeune fille, et en tombe presque immédiatement amoureux. Anne-May est là parce qu’elle a fait une tentative de suicide.
Et puis sa mère lui apprend, dans la lettre qu’elle lui a laissé à l’occasion d’une tentative de suicide, qu’il est né par insémination, d’un donneur anonyme sélectionné, dans le cadre d’un programme un peu bizarre, La banque des génies, pour son QI élevé.
Rapidement, sa décision est prise : avec son ami geek Grover et Anne-May, les voilà embarqués dans un road-trip, direction la côté Ouest où était installée la clinique Monroe, à la recherche de son père.
Avis
Dans sa construction même, ce livre suit le parcours de ce road-trip, assumant clairement d’appartenir à ce style. Claymont, New-York, la traversée du Midwest, Las Vegas, San Francisco, Los Angeles, Tijuana, avant de se conclure… en Amérique – mais on s’en doutait un peu tout de même.
Il y a parfois des hasards curieux : nous venons, avec Maktaaq, de chroniquer un road-trip qui se déroule aux États-Unis, passant, notamment, par Las Vegas. Et voilà que c’est à nouveau un road-trip américain, passant par Las Vegas, qui nous est proposé. Hasard, Las Vegas… peut-être devrions-nous nous remettre au poker ? Bref, ces deux livres sont profondément différents, même s’ils partagent une part de décor…
Francis est en galère, il a l’impression que les murs de son existence sont en train de se refermer sur lui. Sa mère une fois de plus hospitalisée, il s’occupe de lui-même, rend visite à sa mère, traîne sa peau au lycée. Mais à force de l’entendre dire, il s’est convaincu qu’il n’y arrivera pas et qu’il finira comme les voisins, enterrés vivants dans le village de mobil-homes de Claymount.
La description est forte, de cet envers du rêve américain, des déclassés qui n’ont plus d’espoir de s’en sortir.
Et puis surviennent deux coups de tonnerre. Anne-May, d’abord, mystérieuse jeune femme qu’il apprivoise petit à petit. Et puis, à l’occasion d’une tentative de suicide de sa mère, l’aveu de cette dernière : le père qu’il n’a jamais connu était un « génie », choisi pour son QI élevé dans le cadre d’un programme expérimental piloté par un milliardaire et par un médecin eugéniste d’origine autrichienne.
En quelques heures, c’est toute la vie de Francis qui explose : finalement, il n’est peut-être pas condamné à l’échec, et l’amour est peut-être même de la partie ! Mais rien n’est acquis, ni d’un côté ni de l’autre. Anne-May est un personnage complexe, et Francis apprend en même temps l’amour et ses contrariétés. Quant à son père, il n’a qu’un indice assez ténu pour essayer de le retrouver.
Ce sont ces deux quêtes qui vont constituer ce voyage initiatique. Deux quêtes, et un rêve. En effet, Francis fait un rêve récurrent depuis longtemps : il est à Las Vegas, et il gagne, alors qu’un homme en combinaison bleue passe dans son champ de vision. Et on comprend rapidement que Benedict Wells ne va pas nous laisser sans exploiter, d’une façon ou d’une autre, ce rêve. Il ne faut évidemment pas spoiler, mais on peut dire qu’il ne nous épargne rien… 🙂
Mais, finalement, que nous dit Benedict Wells ? Ou, du moins, comment l’ai-je compris ? On peut naturellement noter, avant tout, que la famille, la transmission, sont des thèmes qui reviennent chez cet auteur. Et ici, encore, Francis est issu d’une famille brisée, et, lui-même, d’une insémination, dont le donneur est inconnu.
Mais, surtout, l’auteur nous parle de la vie. Qu’il faut construire, en faisant des choix et en en payant le prix, en osant ou, au contraire, en reculant. Refuser de choisir, c’est aussi choisir par défaut de se laisser balloter en n’ayant pas prise. Francis va devoir faire des choix. Grover va devoir faire des choix. Anne-May aussi devra faire des choix. Au risque de se tromper. D’échouer. De tomber – littéralement, parfois.
Francis, pour ne parler que de lui, a longtemps subi les choix des autres, sans même s’en rendre compte. Mais là, il doit devenir acteur de sa vie. Arrêter de considérer que tout ce qui va mal est du fait de son beau-père qui est parti, emmenant avec lui son fils, Nicky. Accepter de perdre pour, peut-être, gagner à la fin.
Mais Benedict Wells illustre aussi très finement le fait que ce qui compte, ce n’est pas la destination, mais le chemin. Ce qui compte, en définitive, ce n’est pas tant de savoir comment se terminera le road-trip pour Francis, mais plutôt ce qui l’aura amené à cette « conclusion ».
Un livre d’apprentissage, dur comme peut l’être la vie, douloureux comme peut l’être l’échec. Mais aussi, parfois, lumineux comme peut l’être l’amour, excitant comme peut l’être l’espoir !

Chronique passionnante ! Je ne me dirigerai probablement pas vers ce livre, mais j’ai apprécié le cheminement et le raisonnement développés dans ce retour de lecture !
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