Chronique de Tala Yuna, de Charles Aubert.
« Je cherchais mes mots parce qu’il n’y en avait plus en moi. Le comble pour un écrivain. Il fallait bien regarder la vérité en face, je m’étais perdu. J’avais abandonné mes rêves. J’étais un être flou dans un monde trop assuré. À présent, Tala Yuna me proposait de devenir exactement l’inverse : un homme authentique évoluant dans un monde incertain. »
Charles Aubert, Tala Yuna, Slatkine & Cie, 2022, p. 280.
Motivations initiales
Charles Aubert, nous l’avions découvert, grâce à l’équipe de Slatkine, avec la série des couleurs, Bleu Calypso, Rouge Tango, Vert Samba. Premier constat, le Rose Madison dont nous avions imaginé l’éventualité n’est pas d’actualité. Voici donc Tala Yuna, que Slatkine & Cie nous offre la possibilité de découvrir. Qu’allait donc nous proposer Charles Aubert ?
Synopsis
Jonas Duval est écrivain. Ses livres se vendent bien, même s’il a parfois l’impression de ne pas être à la hauteur de ses propres ambitions, en écrivant ces biographies d’hommes et de femmes célèbres, qui s’adressent souvent à un public conquis d’avance.
Un jour, il décide de partir à la recherche de son père, parti deux jours avant sa naissance. L’homme aurait été vu sur l’île Indigo, l’une des îles de cette « région des mille et une îles ». Les trois plus grandes sont l’île Rouge, l’île Bleue et l’île Verte, et toutes les autres sont nommées de l’une des teintes de ces trois couleurs – dont on notera au passage qu’il semble y avoir un clin d’oeil (appuyé ?) à la trilogie des couleurs… Charles Aubert a de la suite dans les idées !
Et voilà Jonas qui embarque sur le ketch de Sam, un marin rencontré à son arrivée. L’équipage est composé, en tout et pour tout, de Ringo, le petit frère de Sam, visiblement un peu « simple », mais auquel Jonas s’attache dès leur première rencontre. Vers quoi naviguent-ils ?
Avis
Charles Aubert n’en fait pas mystère, l’histoire qu’il nous propose ne va pas être un long fleuve tranquille. La « couleur » – filons la métaphore ! – est donnée d’entrée, puisqu’avant même le début du livre, en une sorte de pré-prologue, nous est détaillée la fameuse échelle de Beaufort, dont je n’entends habituellement parler que lorsque, par inadvertance, je tombe sur la météo marine. Avec ses treize degrés, cette échelle va de 0, le calme plat, à 12, correspondant à un ouragan, avec sa violence et ses destructions.
Quand on découvre que la première partie est intitulée « 0 Beaufort », quelques minutes suffisent à vérifier que les parties vont nous amener à gravir l’échelle, vers une tempête de plus en plus puissante. Et il n’est guère difficile d’imaginer que la tempête et le vent correspondront à l’intensité du récit et, fatalement, à l’évolution des personnages. Si nous ne savons pas encore où cette quête du père mènera Jonas, nous savons d’emblée qu’elle va connaître un crescendo vers la violence.
Habituellement, je n’aime pas faire de comparaison entre un livre que je suis en train de lire et d’autres que j’ai déjà lus. Pourtant, ici, sans que je cherche à établir des parallèles, deux réminiscences ont pris le dessus, phénomène d’autant plus troublant qu’il s’agit de deux références profondément antinomiques. D’un côté, j’ai retrouvé l’ambiance de Délivrance, ce film brutal et sauvage dans lequel quatre citadins, venus passer un week-end en pleine nature, se retrouve confrontés à la violence des hommes ; de l’autre, j’ai eu l’impression de lire une nouvelle version de Tristesse et beauté, de Yasunari Kawabata, un livre dont j’ai déjà eu l’occasion de vous dire qu’il raconte une histoire sordide mais dont le style lumineux et doux enrobe cette réalité sombre. Et, dans ce livre, on retrouve noirceur et lumière, cruauté et espoir, mort et vie…
Jonas, bien que les mots soient son métier, ne sait visiblement pas s’en servir dès lors qu’il est lui-même concerné. Il a appris à se défendre en les utilisant comme un paravent, ou un bouclier, mais, du même coup, les dévoie de leur rôle premier. C’est d’ailleurs ce qui le touche directement chez Ringo qui, lui, entretien un rapport bien plus simple avec le monde qui l’entoure. Pas de faux-semblants chez ce personnage, seulement de la poésie et de l’émerveillement.
Et lorsque, finalement – sans spoiler -, Jonas se retrouve face à l’homme qui est peut-être son père, l’incommunicabilité devient évidente. Sans la force solaire, l’incroyable énergie vitale, l’humanité sans faille de celle qui est la véritable héroïne de ce livre – et qui lui donne son titre -, Jonas n’avancerait pas, il serait incapable d’accéder seul à la vérité primordiale de ce livre : la vie est trop courte pour ne pas la vivre intensément. C’est d’ailleurs un petit peu ce qu’exprime la citation choisie pour ouvrir cette chronique…
Charles Aubert avait imposé son style et ses « polars doux » dont la brutalité n’était pas exclue ; ici, il nous embarque dans une psychanalyse tout aussi douce, mais tout aussi violente… Alors, êtes-vous prêts à embarquer pour les îles Indigo, Garance, Zinzolin ou Sinople ?
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.
