« Il m’a prise dans ses bras et nous avons fait l’amour ce soir-là. J’en suis encore poisseuse et j’ai chaque jour honte d’avoir cédé à ses avances quoi, deux heures après que ma fille m’avait prévenue que son père était un malade, un pervers, un détraqué. Je ne l’ai pas crue, et j’ai couché avec le diable. Le pacte germano-soviétique, juste après Munich. Je ne me le pardonnerai jamais. »
Mathieu Menegaux, Le fils parfait, Éditions Points, 2018, p.54.
Motivations initiales
Le nom de l’auteur fait fureur sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines… J’ai hésité entre ses deux romans mais celui-ci avait un résumé plus énigmatique, intriguant et déboussolant et je l’ai embraqué !
J’étais en panne de lecture – quand j’ai la tête trop pleine, quand je sature.vraiment, même la lecture n’arrive pas à me faire m’évader et relativiser – mais je sentais – allez savoir pourquoi, mais il paraît qu’il faut faire confiance à nos impressions et sensations… – que ce très court roman allait me remettre en selle et me ré-ouvrir la voie vers la lecture !
Synopsis
Daphné et Maxime forment un couple parfait, comme il y en a de moins en moins. Ils ont su préserver leur amour, aucun des deux n’a donné de coup de ciseau dans le contrat, et la routine ne semble pas avoir prise sur eux.
De cette union sont nées deux petites filles, Claire et Lucie. Les deux enfants sont des enfants modèles, des enfants aimantes et qui font preuve d’une grande lucidité et maturité malgré leur âge.
Maxime, ancien de Polytechnique, mène une brillante carrière dans le secteur bancaire. Claire, quant à elle, comme beaucoup de mères au XXIème siècle, tente de concilier vie professionnelle et personnelle. Et, finalement, une opportunité se présente à elle, qu’elle accepte. La contrainte : partir une quinzaine de jours par mois pour sillonner l’Europe et rencontrer des clients.
La veille de l’un de ces déplacements, alors que Maxime est au Parc des Princes pour le « classico » PSG/OM, Claire demande à sa mère de ne pas partir parce que lorsqu’elle part « le loup vient »… Trois mots qui vont faire basculer la vie de cette famille si parfaite…
Avis
> L’avis de C
Deux heures. Il m’a fallu deux petites heures pour lire ce roman. Impossible de le lâcher – et pourtant j’avais des obligations qui m’attendaient ce matin ! -, je n’ai pas pu me résoudre à dire « tu le termineras ce soir »… Il fallait que je sache, il fallait que ce salaud finisse par payer, il fallait qu’elles s’en sortent toutes les trois… Bref vous l’aurez compris, ce roman qui compte moins de deux cent pages est captivant, palpitant mais aussi très écœurant…
J’ai beaucoup aimé la façon dont ce roman est construit. En effet, le personnage principal – Daphné – est en pleine rédaction d’une lettre qu’elle destine à sa belle-mère. Même si dès les premières lignes, on comprend que Daphné ne s’adresse pas directement à nous, au bout quelques pages, on a finalement la conviction profonde que c’est finalement bien à nous, lecteurs, qu’elle veut expliquer cette tragédie, cette cassure que rien ni personne ne pourra réparer, comme l’illustre pleinement une de ses réflexions « il me faudra être patiente. L’attente et la souffrance dans un seul et même mot, jolie langue française ». On dirait même qu’elle espère par moment qu’on la rassure, en lui disant qu’elle n’y est pour rien, que c’est Maxime le salaud, le manipulateur, le fourbe et qu’elle ne pouvait pas tout voir… Mais lorsque l’on est parent, justement, notre rôle n’est-il pas de protéger nos enfants plutôt que nous même, que notre vie parfaite ?
On assiste à une véritable descente aux enfers, tout doucement, tout prend forme : l’engrenage se met en place et puis ça s’accélère et cette mère de famille n’aura qu’une seule solution pour tenter de s’en sortir : se battre, et, surtout, se battre seule et contre tous.
Que dire de l’écriture ? Qu’elle est poignante, qu’elle broie tout nos espoirs et ne laisse la place qu’à un univers noir… De nombreux états se sont emparés de moi lors de ma lecture, j’ai même eu l’estomac dans la bouche – c’est sûrement parce que je regardais l’enfant encore innocent qui jouait tranquillement dans mon salon… -. C’est extrêmement efficace !
L’auteur parle d’un sujet qui dérange et surtout il met en lumière des failles juridiques au sein de la République française… Mathieu Menegaux signe ici son second roman et je pense que je vais suivre de près ses prochaines publications !
> L’avis de T
Bon. Comment parler de ce livre ? C’est difficile, parce qu’à la fois, on a envie de dire qu’il est important, important dans ce qu’il décrit, important dans ce qu’il dénonce, important aussi comme marqueur d’une situation qui évolue mais pas suffisamment… Et puis en même temps, moi, je ne peux pas dire que j’ai aimé ce livre. Pas aimé, parce qu’il est clinique, un peu froid. Il décrit le plus précisément possible l’espèce de tourbillon dans lequel Daphné se retrouve prise, et on assiste à sa chute. Et c’est frustrant, parce qu’on a envie de lui hurler de ne pas s’y prendre comme cela, on a envie de lui dire qu’elle court à la catastrophe, mais non, on est bien là, en spectateurs impuissants, à la regarder s’enterrer elle-même.
Ce qui est, de mon point de vue, le mieux rendu, c’est la façon dont Daphné a elle-même besoin de temps pour accepter de croire à la réalité de la situation. Et, en même temps, on n’a évidemment qu’une vision subjective. Qui nous oblige, nous aussi, à nous poser la question de la crédibilité de cette perception. On se retrouve finalement nous-même dans la situation des policiers, des avocats, des juges : pratiquement pas d’éléments concrets – et la question de savoir comment on pourrait en obtenir est lancinante -, essentiellement des témoignages. Bref, Mathieu Menegaux excelle à nous obliger à regarder en face le fait que, alors que nous sommes ici révulsés, parce que nous adhérons à la thèse de Daphné – en lisant un livre, c’est facile -, nous ne savons pas réellement comment nous réagirions en réalité si nous étions l’un des protagonistes de cette histoire…
Ce livre est perturbant. Trop clinique à mon goût, mais s’il ne l’était pas, s’il nous assénait un tel pathos, il en deviendrait illisible ; un peu manichéen par moment, mais parce que c’est la vision de Daphné ; et, surtout, parce qu’il n’existe, c’est évident, aucune bonne façon absolue de faire : les textes de loi actuels sont insuffisants, c’est clair, mais il n’existera jamais de texte parfait qui nous assurerait que cela ne puisse plus jamais se produire.
Ce qui est, en réalité, le plus affreux, c’est que nous aimerions penser que la société peut se protéger, nous protéger. Mais que c’est en réalité impossible. L’humanité, c’est aussi cette capacité de déviance…
Alors, oui, il faut lire ce livre. Pas pour adhérer, pas pour croire, mais pour réfléchir. Pour se donner une chance d’être capable d’écouter, d’accompagner, si un jour un proche se retrouve dans une situation comparable – pas forcément aussi dramatique, mais aussi complexe -…
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