Chronique de Les reines, d’Emmanuelle Pirotte.
« Ceux qui prétendent que les femmes n’ont pas la passion de la guerre et répugnent à verser le sang de leurs propres mains se trompent. C’est une idée aussi ancienne que l’Ancien Monde, aussi inepte que les hommes qui l’ont défendue. Aussi dangereuse que ceux et celles qui ont espéré rebâtir une société plus juste et moins cruelle en confiant le pouvoir aux femmes. La nécessité de la guerre es ancrée en nous aussi solidement que l’orgueil, que le désir, la curiosité que la fascination pour le pouvoir, pour la beauté ou le mal absolu. »
Emmanuelle Pirotte, Les reines, le cherche midi, 2022, p. 77.
Motivations initiales
Un nouveau livre d’Emmanuelle Pirotte, chez Ô Grimoire, c’est toujours un événement. Et, pour la cinquième fois – nous n’avons pas encore lu Rompre les digues -, nous ne savons pas réellement à quoi nous attendre : l’impatience se mêle à la tension. Vais-je entrer dedans ? Ou bien, cette, vais-je passer à côté ?
Synopsis
La catastrophe est passée. L’humanité a disparu, ou presque, emportée par la spirale du progrès technique. Mais la Terre et le Temps se sont ennuyés, et ont décidé d’offrir à l’humanité une deuxième chance – du moins est-ce ce que les légendes racontent, mais peut-être est-ce uniquement le hasard ?
Recommencer à zéro, en espérant ne pas reproduire les mêmes erreurs. Alors l’humanité a renoncé au progrès matériel et, surtout, a posé le choix de retirer aux hommes leurs privilèges : désormais, le pouvoir sera entre les mains des femmes.
La population ayant été sévèrement réduite, d’immenses espaces sauvages sont occupés par les seuls groupes nomades, les fils du vent. Dans l’un de ces groupes, les Britannia, Milo et Faith. Lui est un enfant trouvé, recueilli par la troupe. Elle est orpheline, sa mère est morte en couches et son père s’est donné la mort quelques jours plus tard. Bien que tout jeune – ils ont six ans de différence – Milo s’est occupé du bébé. Et, le jour de ses huit ans, elle a déclaré solennellement qu’ils se marieraient. Mais ce n’était pas les plans du clan…
Avis
Ce livre est un petit miracle. Et nous n’avons pas souvent dit cela, chez Ô Grimoire. Il s’agit, d’abord, d’un très bel objet : cette couverture, avec ce motif doré sur fond noir, qui attire irrésistiblement l’œil, avec ce motif presque indécelable en noir sur noir, qui vous a un faux air de Gustav Klimt – et notamment de Pallas Athéna -, c’est très beau !
Ensuite, cette histoire qui semble simple mais qui est tellement complexe, à commencer par Milo et Faith. Comme dans Today we live, comme dans D’innombrables soleils, il y a cette évidence du lien, qui vous tombe dessus. Milo et Faith sont faits l’un pour l’autre, ils l’ont tous les deux senti tous petits. Mais cette évidence est contrecarrée par la volonté du groupe. Alors Faith commet l’incroyable, et fait bannir Milo. Plutôt séparés que proches mais espacés. Et c’est une évidence, ici, qu’ils ne peuvent vivre séparés, mais qu’ils ne peuvent pas non plus vivre ensemble. Que, toujours, il y aura entre eux pour les dissocier, la dimension du collectif. Ce qui pourrait être la pression sociale. Ou, plus tard, une reine, donc le pouvoir. Cette première partie de la trame de cette histoire est tragique, au sens strict du terme.
Autour des reines et de leur destin, s’organise une deuxième trame. Edda, Alba, Helle ont le pouvoir. Certaines font tout pour le garder, même l’impossible, l’impensable, l’inimaginable. Elles tuent, elles traquent, elles brisent tout ce qui pourrait leur résister. Mais, parfois, elles cèdent. Et d’autres, parmi leurs consœurs, finissent par préférer laisser le pouvoir aux hommes, en contradiction évidente avec ce qui semble devoir marquer le renouveau de l’humanité… mais qui s’avère finalement n’être qu’une même approche de l’humanité. Dans ce livre, les femmes sont fortes, mais pas parce que c’est leur rôle. Certaines sont dures, brutales, violentes, même, parce qu’elles sont ainsi, par nature. Cela se voit parce qu’elles ont le pouvoir, mais ce n’est pas parce qu’elles ont le pouvoir qu’elles sont ainsi.
Et puis il y a cette épopée. Milo qui doit accomplir, lui aussi, son destin, qui est le jouet des dieux et des reines, qui est tabou, esclave, mort-vivant, caché puis révélé, porte à lui seul une troisième trame de l’histoire. Milo qui doit retrouver ses origines, retracer le fil de sa destinée pour pouvoir, enfin, occuper sa place. Et on retrouve ici, alors, de ce souffle épique qui balayait les plaines de l’Iroquoisie, dans Loup et les hommes.
Les reines, c’est comme un condensé, dans lequel on retrouve les thèmes chers à l’auteure – l’amour immédiat mais potentiellement impossible, l’épopée et les grands espaces, la catastrophe et la place de l’humanité -, mais avec encore davantage de souffle que les livres précédents. Je n’oserai pas dire que c’est le livre de la maturité – qui suis-je pour dire cela ? -, mais c’est pourtant bien ainsi que je l’ai reçu !
Alors, êtes-vous prêts, vous aussi, à embarquer avec Milo et Faith ?
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.
