« Permets-moi de te le décrire, toi qui n’as pas eu le temps de le voir: ses membres ont été sectionnés durant une longue période. On a laissé chaque plaie cicatriser assez longtemps pour que le corps supporte l’amputation suivante. Des mois durant, il a été gardé quelque part, attaché à un lit. Il a sans doute appelé à l’aide, en vain, puisque sa langue a été tranchée. Il a sans doute tenter d’en finir, mais on ne lui a même pas laissé ses dents. Ni ses yeux. Peux-tu imaginer ça, Johan Gustav ?
Niklas Natt Och Dag, 1793, Sonatine Éditions, 2019, p. 110.
Motivations initiales
Je ne sais plus comment ni pourquoi, mais lors de notre virée à Lyon pour Quais du polar, mon binôme voulait absolument ce livre… heureusement !
Synopsis
1793. Les monarchies du Nord s’embrasent à leur tour dans le tumulte révolutionnaire. Un an après la mort du roi de Suède Gustav III, le pays est en pleine ébullition. La violence, les rumeurs de conspiration, la misère sont le lot quotidien de la majorité des habitants de Stockholm…
C’est dans ce contexte qu’un vétéran de la guerre russo-suédoise – Michael Cardell – découvre dans un lac le corps d’un inconnu sans membres, sans dents et sans yeux…
L’enquête est confiée à Cécil Winge, brillant homme de loi atteint de phtisie sur le point de trépasser. Les deux hommes que tout oppose vont devoir déjouer les conspirations, affronter le mal et ne pas se laisser corrompre pour connaître les raisons de cet horrible meurtre et confondre son ou ses auteurs.
Avis
> L’avis de C
Ce livre est vraiment incroyable ! Suite à sa lecture, on comprend pourquoi sur la quatrième de couverture, on le compare au roman Le parfum de Patrick Süskind. Pourquoi ? Parce que l’on a l’impression de retrouver le Paris de Jean-Baptiste Grenouille. Autres liens entre les deux romans : ça pue la misère, les maladies courent les rues et les morts sont violentes et omniprésentes.
1793 est à mi-chemin entre roman historique et thriller. Lorsque l’on débute cette lecture, on est captivé dès les premiers chapitres. Les personnages sont charismatiques, très torturés, très farfelus mais c’est tellement bien travaillé qu’on ressent pour eux de la pitié et l’envie de les aider ou, pour certains, de les abattre ! On est embarqués dans une enquête complexe, sinueuse mais sans aucun temps mort ! C’est brillant, on ne voit pas les pages s’enchaîner.
J’ai vraiment beaucoup aimé le découpage en quatre parties effectué par l’auteur. Les quatre parties correspondent à des saisons mais dans un sens inversé. Tout au long de ces parties, on suit différents personnages, dans deux parties nous allons suivre Cardell et Winge. Personnellement, j’ai eu un énorme coup de cœur pour ce duo. Tout au long de la première partie du livre, on sent qu’ils se jaugent, qu’ils s’apprivoisent, qu’ils finissent par s’apprécier. Ce qui fait la force de ce duo improbable, c’est qu’ils dérangent, ils dérangent les grands notables de cette ville… Les deux autres parties suivent des personnages qui interviennent dans l’histoire, j’ai également beaucoup apprécié ces parties, on se sent très proches des personnages, on a l’impression de lire un journal intime. Toutes les parties s’assemblent comme un puzzle et on comprend où l’auteur veut nous mener. C’est vraiment très sombre, mais j’ai adoré ça !
L’auteur réalise aussi un sans faute au niveau reconstitution historique. On est vraiment en immersion totale dans le Stockholm du XVIIIe siècle ! Ça pue, ça suinte, on croise la mort et la misère à chaque coin de rue… le tout saupoudré d’un air de révolution… C’est terrifiant !!!
Et puis le dernier argument de choc, c’est le talent de l’auteur… Son écriture est puissante, saisissante, glaçante ! C’est vraiment un aller sans retour dans la noirceur que nous offre là Niklas Natt Och Dag, c’est du grand art !
Sans nul doute ma plus belle lecture de 2019, c’était tellement bien que je l’ai lu deux fois d’affilée ! J’ai tellement envie de vous en raconter davantage mais il ne faut pas, car ça mérite d’être découvert sans spoil ! Pour conclure je vous dirais juste que c’est un excellent thriller historique avec une intrigue complexe et une enquête captivante !
> L’avis de T
Je ne sais pas comment décrire ce thriller historique autrement qu’en disant que c’est le roman de la noirceur.
Tout est noir. Tous les personnages sont, pour une raison ou une autre, au seuil de la mort : celle qui les attend, celle qui hante leurs souvenirs, celle qu’ils donnent, celle qu’ils craignent de voir les rattraper…
On découvre d’abord un duo étonnant, voire carrément improbable, constitué de Cecil Winge, homme de loi scrupuleux, obsédé d’honnêteté et de justice… et tuberculeux, et Jean Michael Cardell, un « boudin » – c’est à dire membre de l’une des gardes de la ville de Stockholm, composée essentiellement d’anciens militaires souffrant de séquelles de blessures qui les empêchent d’exercer d’autres activités -, alcoolique, violent et manchot. C’est Jean Michael qui sort du lac, un soir, ce qui reste du corps d’un inconnu ; l’enquête est confiée à Cecil Winge.
Rien ne semble devoir rapprocher ces deux personnages… sauf une immense soif de vérité ! Et si Mickel Cardell voit d’abord dans l’enquête la possibilité d’arrondir des fins de mois difficiles, d’autant qu’il vient de perdre un emploi de complément -, les deux hommes vont finalement se découvrir, s’apprivoiser, et nourrir une sorte de respect l’un pour l’autre.
Dans une deuxième partie, c’est Kristofer Blix que nous découvrons. Venu à Stockholm pour essayer de s’en sortir, il se heurte rapidement à la pauvreté, au désespoir, qui l’accule à jouer un jeu dangereux. Le principe en est simple : fréquenter de jeunes héritiers, obtenir d’eux des crédits de plus en plus importants, chacun servant à rembourser le précédent et à assurer un train de vie minimum. Mais cette spirale ne supporte évidemment aucun accroc… au risque de faire tomber celui qui le subit dans le pire des pièges : celui de perdre le contrôle de sa vie. Et on découvre alors les pires turpitudes : sexe, violence, déchéance, tout est permis !
Avec Anna Stina, c’est encore un autre aspect de la société suédoise – et européenne – du XVIIIe siècle que l’on découvre. Élevée par sa mère restée seule après la mort du père, elle se retrouve, au décès de cette dernière, obligée de se débrouiller seule. Mais un camarade éconduit, deux « boudins » et le prêtre de la paroisse en décident autrement : accusée de se prostituer, elle se retrouve à la Filature, qui est à la fois une usine et une sorte de maison de correction… mais là aussi, la violence fait loi !
Et toutes ces fils d’histoire se rassemblent brillamment pour former la trame de l’intrigue du roman. Un roman à recommander à tous ceux qui aiment les enquêtes bien ficelées, mais également à tous ceux qui, de bonne foi, répètent à l’envi que « nous vivons dans un monde de plus en plus violent »…
Deux fois de suite ? Il y a trop de trucs à lire …
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Ce n’est parce que je n’avais plus rien sous la main c’est parce que… c’était vraiment bien ! 😊
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