Policiers

La dame de Reykjavik

Chronique de La dame de Reykjavik, de Ragnar Jonasson.

« Ce n’était pas l’indifférence des médias qui la gênait, mais l’impression tenace que son collègue avait été négligent. Alexander. Elle n’avait jamais vraiment cru en ses capacités. Il n’était ni consciencieux ni particulièrement brillant, et s’il était parvenue à garder son poste au sein de la brigade criminelle, il le devait seulement à un mélange d’obstination et de relations soigneusement entretenues. Dans un monde plus juste, elle aurait été sa supérieure – plus intelligente, plus scrupuleuse, plus expérimentée… »

Ragnar Jonasson, La dame de Reykjavik, Éditions Points, 2020, p. 35.

Motivations initiales

Nouvelle lecture dans le cadre du Prix du meilleur polar des Éditions Points, un auteur islandais que je n’ai pas encore eu le temps de découvrir – l’un de ses précédents livres est dans la PAL -. Découverte donc, direction le grand nord !

Synopsis

Hulda Hermannsdottir, inspectrice principale, va sur ses 65 ans. Veuve et sans enfants – sa fille unique s’est suicidée alors qu’elle avait 13 ans -, elle ne vit plus que pour son travail, même si, depuis quelques semaines, un célibataire amateur de randonnée, comme elle, ne la laisse pas totalement indifférente. Mais sa préoccupation principale, c’est que l’heure de la retraite approche, et Hulda voit l’échéance devenir chaque jour plus pressante, non sans appréhensions, d’autant que son chef, Magnus, lui annonce un beau jour que son remplaçant est sur le point d’arriver. Elle pensait avoir encore 6 mois, ce ne sont finalement que 15 jours qui lui sont donnés.

Toutes les affaires dont elle s’occupait ont déjà été réparties entre ses collègues. Pour se débarrasser d’elle, Magnus lui suggère, si elle y tient, de s’intéresser à une affaire non résolue, pour passer le temps. Hulda s’intéresse alors à la mort d’une jeune femme russe, retrouvée morte un an plus tôt, noyée. L’enquête menée alors par son collègue Alexander avait abouti à un classement sans suite. Suicide.

Mais n’y a-t-il pas autre chose, derrière ce décès qui n’a marqué personne ?

Avis

Cela ne m’arrive pas si souvent, mais, en refermant ce livre, je ne sais pas précisément quoi en penser. Et, plus je creuse, plus je cherche des infos sur ce livre, plus je suis dans l’expectative. La fin parait abrupte, et elle est inattendue, parce que rien ne semble réglé. Alors, le fait d’avoir lu – après coup – qu’il s’agit en fait du premier tome d’une trilogie pourrait être un élément de réponse. Sauf que non, parce que, certes, rien n’est réglé, mais certains éléments rendent compliquée la projection. Et puis, s’il y a des points non résolus, cela justifie-t-il deux tomes de plus ?

Vous le voyez, difficile de mettre mes idées en ordre. Je vais essayer de reprendre dans l’ordre…

Le centre de ce livre, pour moi, c’est son personnage. Cette Hulda, quel drôle de numéro ! Solitaire dans sa vie personnelle, elle ne sait visiblement pas travailler en équipe non plus. Et, si l’on essaye d’être objectif, elle semble bien être une de ces personnes qui ont tout investi – surinvesti ? – dans leur vie professionnelle, mais qui n’en retirent que frustration. En partie parce que la police islandaise est encore très masculine… pour ne pas dire phallocrate ! Son chef fait preuve de beaucoup de brutalité, même si c’est essentiellement par manque d’empathie. Mais, habile contrepoint, l’auteur nous montre que la brutalité et l’égoïsme ne sont pas l’apanage de la seule gent masculine…

Hulda, donc, traine derrière elle divers boulets, des histoires non réglées dont elle a cru se débarrasser en essayant de les dissimuler sous le tapis. Sauf que, en général, ce genre de chose finit toujours par nous péter au visage, nous obligeant à les regarder enfin en face. D’habitude, c’est à l’occasion d’une période de fragilité que cela survient, et Hulda, justement, se retrouve sérieusement fragilisée, à la fois parce que la retraite qui approche l’angoisse, et parce qu’elle se retrouve face à un choix qu’elle ne pensait plus avoir à affronter : doit-elle ouvrir la porte à Pétur, un charmant célibataire ?

Même si elle tourne beaucoup en boucle sur sa retraite, elle reste, à mon sens, attachante. Et sa frustration, même si elle a probablement participé à son édification, permet aussi de comprendre son isolement.

L’affaire qu’elle reprend a été, elle s’en rend compte très rapidement, traitée par dessus la jambe par son collègue. Même les éléments qui auraient dû l’amener à creuser, il les a évacué dédaigneusement. Après tout, Elena n’était personne, alors, pourquoi s’en inquiéter ?

Hulda nous oblige également à nous interroger – et visiblement, à lire certaines critiques sur le livre, je constate que certains sont mal à l’aise face à cette question – sur le choix auquel on peut être parfois confronté. Faut-il toujours appliquer les règles, ou, parfois, peut-il être justifié de détourner le regard. Et Hulda le dit à moment, alors qu’une affaire dans laquelle elle a, justement, regardé ailleurs, la rattrape : « Mais mes intentions étaient bonnes », dit-elle (page 236). Et oui, les meilleures intentions du monde ne suffisent pas forcément. Mais cela signifie-t-il qu’il faille, pour autant, renoncer à suivre nos règles de conduite ? Nos valeurs ?

Sous des dehors simples, Hulda, on le voit, est un personnage complexe. Et rien que cela, c’est intéressant.

Finalement, j’attends avec impatience de voir ce que l’auteur va faire avec tout cela. Et cela répond en grande partie à ma question initiale. Si j’ai envie de lire la suite, c’est que j’ai apprécié ce premier opus. Alors, à nous deux, Hulda !

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