« Face à la débâcle, Vernon garde une ligne de conduite : il fait le mec qui ne remarque rien de particulier. Il a contemplé les choses s’affaisser au ralenti, puis l’effondrement s’est accéléré. Mais Vernon n’a cédé ni sur l’indifférence, ni sur l’élégance. »
Virginie Despentes, Vernon Subutex 1, Le Livre de Poche, p. 9, 2016.
Motivations initiales
Pour certains livres, on ne sait pas pourquoi on les a achetés. Et, surtout, on a cette sensation que, si on était tombés dessus deux mois plus tôt ou deux mois plus tard, on les auraient peut être laissés sur le présentoir. parce que le timing, le temps de la rencontre joue un rôle. J’ai rencontré Vernon au bon moment…
Synopsis
Page 8 : Vernon Subutex tire le diable par la queue dans son appartement parisien. Entré à vingt ans comme vendeur chez un disquaire, il a racheté l’affaire. Mais il s’est pris de plein fouet la transformation du marché de la musique et, en 2006, est contraint de fermer boutique. Il n’a fait que cela dans toute sa vie, et se retrouve au chômage, au RSA, de plus en plus exclus. En même temps, son réseau social se délite, décès, éloignement…
Page 45 : c’est finalement un huissier qui est venu. Le temps de remplir un sac, et il est à la rue. Ce qui lui reste, ce sont les derniers enregistrement d’une auto-interview d’Alex Bleach, star de la chanson qu’il avait connu avant le succès, mais qui est resté fidèle par intermittence. Parfois, Alex débarquait, payait les loyers en retard. Mais il vient d’être retrouvé mort dans une chambre d’hôtel.
Page 350 : Vernon, après avoir squatté à gauche et à droite, en prétextant qu’il revient pour quelques temps du Québec – on a sa dignité ! -, finit par choisir de s’effacer. Il devient SDF. Il a tout abandonné, et se retrouve sur un banc.
Mais c’est au moment même où il disparait que plusieurs personnes se mettent à le rechercher, avec des motivations diverses.
Avis
> L’avis de T
Vernon Subutex est un curieux roman. Drôle – on rit souvent -, mais tragique. Brutal mais plein d’une sorte de tendresse. Désespéré… mais pas vraiment. Et on en sort finalement assez déboussolé, avec la sensation de s’être pris un bon uppercut.
Le premier tome est le roman de la déconstruction. La descente aux enfers de Vernon donne une ligne directrice, une pente descendante. Il est aussi l’occasion de rencontrer une sacrée brochette de personnages, tous plus déjantés les uns que les autres. Mais attention, ils sont déjantés au sens noble du terme : ils sont littéralement « fêlés », ébréchés, blessés, et la jante qui, habituellement, amorti les chocs, s’est fait la malle. Emilie, Xavier, Sylvie, La Hyène, Pamela Kant, Daniel, Gaëlle, Laurent, Loïc… Tous ont une raison de chercher Vernon, parce qu’ils l’ont aimé, parce qu’ils le haïssent, parce qu’ils voudraient mettre la main sur les enregistrements de Bleach… Du monde de la musique, au fil de la descente, on rejoint celui du Paris branché, de la fête, mais aussi de la drogue et de la prostitution. Ex-stars du X, certaines ont pu s’en sortir, comme Pamela Kant, d’autres ont changé (Daniel ne s’est pas toujours appelé Daniel, et n’a pas toujours été un homme), d’autres y ont laissé leur vie, comme Vodka Satana. Avec des passages extrêmement glauques, d’autres à pleurer, certains qui font pouffer.
Le deuxième tome, lui, est celui de la reconstruction. D’une forme de renaissance : chaque personnage, après s’être retrouvé face à ce qu’il est, face à ce qu’il est devenu, parfois à force de compromissions, semble trouver dans le groupe l’occasion de se poser de nouvelles questions. Dans l’avant dernier chapitre, qui sonne un peu comme un résumé de l’ensemble, un personnage secondaire, Marie-Ange, la femme de Xavier, se livre à un retour complet sur son histoire avec ce dernier. Le constat est amer : l’amour du début a progressivement laissé la place à des frustrations, des incompréhensions, des choix posés les ont éloignés. Alors la colère s’est installée. Par bouffées. Elle attendait qu’il la surprenne, jusqu’au jour où, enfin, il l’a surprise. En rejoignant le groupe de ceux qui suivent Vernon. Mais elle a alors découvert que la relation qui la lie à lui, et qui provoque tant de colère chez elle, elle ne veut surtout pas en être privée. Et cela lui fait comme une révélation : sa rage est la sienne, elle s’en est fait une armure, qu’elle dresse devant elle pour se protéger. Toujours sur la défensive. Ainsi, même indirectement, Vernon Subutex est pour elle un révélateur, qui l’oblige à regarder en face ce qu’elle même a accepté.
Ce n’est pas un roman dont on sort en disant « c’est génial », mais il ne laisse pas indifférent, loin de là. Il dit beaucoup de choses dérangeantes, mais tellement en phase avec le monde qui nous entoure. Il fait réfléchir, il fait rire et il fait mal. Réfléchir, rire et avoir mal ? Mais alors, finalement… ce roman, c’est la vie !