« Il y eut un grand claquement, semblable à celui de voiles : le dragon, bien que nous ne puissions pas le voir. Regardant par-dessous le bras de Jacob, je vis lord Hilford tendre la main et arrêter son conducteur qui voulait tirer en direction du bruit. Sans rien voir, il était inutile de gâcher une balle.
Et puis, tout à coup, il y eut quelque chose à voir. Plusieurs détonations retentirent et je ravalais la protestation qui tentait de jaillir d’entre mes lèvres. Il ne s’agissait pas d’un avorton vulnérable dans une ménagerie. Le dragon était énorme, ses ailes plus grandes qu’une charrette, ses flancs étaient gris et ses ailes soulevaient la poussière à chacun de leurs battements. »
Marie Brennan, Mémoires de Lady Trent – T. 1 : Une histoire naturelle des dragons, Librairie l’Atalante, 2016, p. 102-103.
Motivations initiales
C’est un cadeau, de quelqu’un qui me connait bien. Et qui savait que, des dragons, j’en fréquente, et j’en cause… En plus, l’article consacré aux-dits dragons, dans la rubrique « À travers livres », était en cours de rédaction. Tout était donc réuni pour s’intéresser de près à ces mémoires de Lady Trent…
Synopsis
Dans un univers qui ressemble à s’y méprendre à l’Angleterre à l’époque victorienne, une jeune fille de la bonne société, Isabelle Hendermore, fait le désespoir de sa mère. Elle collectionne les lucions – de petits dragons -, dissèque des tourterelles pour « comprendre comment elles fonctionnent », et lit à de multiples reprises un livre dérobé dans la bibliothèque de son père, Une histoire naturelle des dragons, de sir Richard Edgeworth.
Alors, naturellement, lorsqu’un dragon est signalé dans la région, hors de question qu’elle rate la battue destinée à le repérer et à l’abattre. Sans se soucier des conséquences, elle se joint à la troupe, déguisée en garçon… Mais, découverte et après avoir frôlé la mort, elle est punie.
Heureusement, elle finit par trouver un mari qui accepte ses passions pour le moins originales. Elle devient alors Mme Camherst. Elle n’a pas à intriguer beaucoup pour que son mari se lie à lord Hilford, qui préparer une expédition en Vystranie, pour aller étudier les veurs des rochers, des dragons au souffle glacé…
Avis
> L’avis de T
Quel étrange livre ! Marie Brennan l’écrit sous la forme d’un journal, celui de lady Trent – Isabelle Hendermore, devenue naturaliste et spécialiste mondiale des dragons -, vieille dame qui s’autorise à transgresser tous les tabous de la société. Cette forme épistolaire, bien qu’elle soit rarement employée – du moins depuis les Mémoires de Saint-Simon… -, permet de créer très rapidement une sorte de proximité avec le lecteur.
L’univers ne nous est pas réellement décrit : l’effet produit est extrêmement malin, puisque l’on a ainsi l’impression de le découvrir en même temps qu’Isabelle. Nous voila donc immergés dans le corps et l’esprit d’une jeune fille, puis jeune femme, qui se heurte sans cesse aux préjugés de son clan, de sa caste, de son pays.
Sa naïveté – dans ce premier tome, elle est vraiment encore très jeune, elle quitte le Scirland pour la première fois, elle ne connait rien au monde – la rend extrêmement rafraîchissante, surtout que celle qui écrit – la même, quelques dizaines d’années plus tard, ne manque pas de souligner à quel point elle avait beaucoup à apprendre.
L’histoire en elle-même, autour de la description d’une expédition dans une région sauvage et reculée, rappelle à la fois ce que pouvaient être d’autres expéditions du même type voilà quelques siècles. La mise en abîme est riche, sur la tolérance, le regard porté sur l’étranger, sur l’idée de supériorité que les peuples européens ont longtemps affiché…
Bref, une lecture extrêmement dépaysante, fraîche. Sans éviter pas les sujets sérieux, voire lourds. Bref, une façon d’aborder les choses qui peut en laisser certains sur le bord du chemin – « de toute façon, les dragons, ça n’existe pas ! » -, mais qui pourrait convertir pas mal de lecteurs… Le deuxième tome est déjà dans la PAL… vous en saurez plus ultérieurement !