Policiers, Roman noir

Chambres froides

Chronique de Chambres froides, de Philip Kerr.

« Elle [la responsable du service des experts scientifiques] se dirigea vers l’arrière de la voiture, me bousculant au passage. Elle s’exprimait de façon tellement dure et désagréable que je ne fus pas du tout étonné de découvrir qu’elle portait le même parfum que mon ex-femme. D’un coup de coude, Tchelaieva repoussa le photographe de la milice et nous présenta le contenu du coffre d’un geste indifférent de sa main gantée de caoutchouc. »

Philip Kerr, Chambres froides, Éditions du masque, 2022, p. 45.

Motivations initiales

Quand vous êtes fan d’une série – disons, par exemple, de Bernie Gunther -, que la source est malheureusement tarie par la disparition de l’auteur, quelle pourrait être votre réaction en découvrant, réédité, un roman qui a déjà quelques années ? Aucune hésitation, naturellement, vous vous en emparez ! Eh bien c’est précisément ce qui s’est produit cette année à Quais du polar, où nous avons découvert ce Philip Kerr, paru après La trilogie berlinoise et Une enquête philosophique.

Synopsis

1993. La Communauté des états indépendants (CEI) a deux ans à peine, née sur les ruines de l’URSS dissoute en 1991. Les Russes ne savent pas encore bien quoi faire de leur indépendance toute fraîche, et la mafia progresse à visage quasiment découvert.

À Saint-Pétersbourg, le Bureau central des enquêtes obtient pourtant de bons résultats, et notamment l’équipe dirigée par le colonel Grouchko. Pour s’inspirer de ses méthodes – mais également, à la demande de sa hiérarchie, pour venir discrètement observer s’il n’y aurait pas de la corruption derrière tous ces succès -, un confrère de Moscou arrive à Saint-Pétersbourg.

À peine est-il arrivé qu’un journaliste renommé, connu pour avoir fait sortir pas mal d’affaires de corruption et de trafics, est abattu. Bonne occasion d’enquêter ensemble…

Avis

Disons-le tout de go : ce livre, je l’ai trouvé un tout petit peu moins bien que les Bernie Gunther – mais, en même temps, je mets Bernie Gunther tellement haut que… -, mais il s’agit tout de même d’une peinture de la société russe qui est à la fois grinçante et délicieusement vitriolée. Tout est incroyablement compliqué ; plus votre cause est juste, moins les moyens de la faire vivre vous sont accordés ; chacun se bat pour sa survie.

Je ne résiste pas au plaisir de vous proposer une citation dans laquelle Philip Kerr décrit la façon dont on reconnait les russes des – rares – étrangers présents dans le pays :

« Cela amusait toujours Grouchko de penser que certains étrangers, qui, bien sûr, parlaient russe, pouvaient espérer passer inaperçus. Une fois, il avait ébahi un Anglais, un ami de Tania qui parlait russe couramment et qui avait acheté tous ses vêtements dans des boutiques russes, en l’identifiant au bout de quelques secondes et sans échanger un seul mot. Grouchko avait expliqué à l’homme que ce qui l’avait trahi, c’était son visage souriant : un Russe, aujourd’hui, avait peu de raison de sourire quand il déambulait dans les rues » (p. 309).

Cela devrait rappeler des souvenirs à quelqu’un.

Grouchko est-il corrompu ou, au contraire, est-il la droiture même. Et laquelle de ces deux attitudes est la meilleure, dans cette société secouée par une transition qu’elle n’a pas réellement choisie ?

Les Géorgiens contre les Ukrainiens, les Russes contre les Tchétchènes… par moment, on a l’impression de lire des dépêches de journaux parfaitement actuels… Et cela n’est pas sans faire froid dans le dos ! Et je parie que peu d’entre vous, parmi ceux qui lirez ce livre, refermeront ce livre en se disant que, à leur prochain séjour en Russie, ils dégusteront sans arrière-pensée un bortsch ou un pot-au-feu…

Et je ne résiste pas à une dernière citation, qui clôt ce livre, et en résume assez bien, me semble-t-il, tout le côté doux-amer. Notre narrateur, pour rentrer à Moscou une fois son enquête terminée, partage un compartiment couchette avec une femme charmante, à qui il n’adresse d’abord pas un mot. Puis s’engage un échange entre eux deux, lui que sa femme trompe et s’apprête à quitter pour le professeur de piano de leurs filles, elle, danseuse au Bolchoï, divorcée. Elle lui propose d’occuper la chambre vide dont elle dispose. La discussion prend progressivement un tour plus intime, la séduction s’installe… et le livre se termine ainsi :

« – Oui, dit-elle d’un air songeur. Ce pourrait être très agréable de rentrer à la maison en sachant qu’un policier vous y attend.

– Et en plus, vous savez ce qu’on dit ? C’est beaucoup moins cher que d’avoir un chien. »

Je ne sais pas si je vous ai donné envie de lire ce livre. Mais, quoi qu’il en soit, il confirme l’incroyable talent qu’avait Philip Kerr pour décrire ces sociétés brisée par la marche de l’histoire, avec ces personnages qui n’ont pas d’autre choix, pour survivre, que d’apprendre à marcher, sans repos possible, sur un fil ténu, avec le risque permanent du plongeon dans le vide…

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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