Policiers, Roman noir

Retour à Berlin

Chronique de Retour à Berlin, de Jacques Moulins.

« Depuis, je travaille avec lui, il a en charge la relation avec les partis politiques et m’aide à construire un centre européen où nos idées et nos programmes sont élaborés. Nombre de responsables politiquess’en gaussent, pensant rebondir sur des conjonctures fortuites, genre un délit quelconque dû à un migrant, pour faire avancer leur cause. Moi je dis qu’à ce rythme, rien n’aura changé quand je serai arrière-grand-père. Il faut provoquer l’actualité et, si elle n’est pas assez parlante parler à sa place, écrire l’histoire avant même qu’elle ne se fasse. Pour cela, il nous faut maîtriser les réseaux sociaux, influencer les médias et ce n’est pas un petit bidouilleur, la tête pleine de haine, qui y parviendra. »

Jacques Moulins, Retour à Berlin, Folio, 2022, p. 213.

Motivations initiales

Chez Ô Grimoire, nous aimons Berlin. Et, vous l’avez peut-être noté, nous avons lu et chroniqué ici pas mal de livres qui s’y déroulent – bon, ok, un certain nombre de ceux-ci étant signés Philip Kerr et mettant en scène Bernie Gunther, mais pas uniquement ! Bref, ce Retour à Berlin nous a fait de l’oeil depuis l’étagère où il patientait, guettant le chaland, dans l’une de nos librairies habituelles. De quoi parle-t-il ? La 4e de couv nous a rapidement permis de comprendre qu’il s’agit d’une enquête menée par une unité antiterroriste travaillant sur les méfaits de pirates informatiques d’Europe de l’Est travaillant pour l’extrême droite. Le sujet semble intéressant, alors, hop, direction la PAL !

Synopsis

Le commandant Deniz Salvère dirige une unité d’Europol. Il a réussi a convaincre sa hiérarchie qu’une organisation terroriste utilise le piratage informatique pour financer une ou plusieurs « fermes à trolls » qui propagent des rumeurs et des fakes news, sur lesquelles s’appuient des groupes politiques d’extrême-droite pour progresser dans les sondages, et obtenir des places dans les parlements de différents pays européens.

Mais alors que son équipe tente de remonter les pistes, dans le camp d’en face, on semble faire le ménage. Toutes les personnes dont les noms ont pu être identifiés sont éliminés au fur et à mesure. Deniz Salvère n’en démord pas : il ne peut pas s’agir d’un hasard. Mais les polices des différents pays, eux, ne voient souvent qu’un événement isolé, qui ressemble à un suicide, ou à un nouveau meurtre d’un meurtrier en série…

Comment démêler cet écheveau ? Deniz Salvère et son équipe parviendront-ils à tirer le fil de cette histoire ?

Avis

C’est avec un certain enthousiasme, en tout cas avec un a priori très favorable, que j’ai commencé cette lecture. Les pirates informatiques, les fermes à trolls, la façon dont les réseaux sociaux peuvent être instrumentalisés au profit de causes plus ou moins valables, voilà un sujet tout à fait riche !

Mais autant le dire tout de suite – et je m’en excuse d’avance auprès de l’auteur -, à aucun moment je n’ai accroché à cette histoire. Peut-être, tout simplement, n’était-ce pas le bon livre au bon moment. En tout cas, j’ai mis plus de 100 pages à avoir le sentiment d’être un peu « dedans », impression extrêmement fugace puisque, à peine 70 pages plus tard, j’étais à nouveau sur le bord du chemin.

Au démarrage du livre, on suit – c’est assez classique – trois fils. Un premier fil, qui aurait pu être intrigant, met en scène un groupe d’enfants qui vivent près d’un ancien bâtiment semi-abandonné de Berlin, dans un quartier qui faisait partie de Berlin-Est. Ils rêvent de pénétrer dans cet ancien paquebot de la RDA. Mais, en réalité, on ne va suivre cette partie de l’histoire que de loin en loin, sans approcher suffisamment les deux principaux protagonistes – Tom et Lina – pour réellement s’intéresser à eux. La seule chose qui en ressorte, c’est que Lina est plus mûre que ses camarades, et que Tom s’intéresse au bâtiment en question essentiellement parce que Lina s’y intéresse.

Le deuxième fil, c’est celui de Paula Bokova, personnalité politique slovaque d’extrême-droite, sur le point de prendre la tête du mouvement. Elle est approchée par des individus qui lui proposent de la soutenir, de l’aider, y compris en terme d’idéologie politique, et lui font rencontrer l’idéologue italien dont l’une des théories figurent dans la citation reprise en haut de cette chronique : attendre qu’un immigré commette un crime étant un peu aléatoire, il vaut mieux « écrire l’histoire avant qu’elle ne se fasse ». Cette partie de l’histoire, on aimerait qu’elle soit plus creusée, quitte à aller remuer la boue de ces idéologies, les sources ne manquent probablement pas. Comment Paula Bokova le vit-elle ? Comment en est-elle arrivée à porter les idées nauséabondes de l’extrême-droite : par conviction ? Par cynisme ? Par colère, à la suite d’événements violents ? Rien, silence radio, ces personnages sont survolés.

Le troisième fil, enfin, c’est celui qui nous fait suivre les hauts et les bas de cette équipe d’enquêteurs d’Europol, avec ce commandant, Deniz Salvère. Qui est incroyablement agaçant : c’est ce que pense sa hiérarchie, qu’il contourne allègrement dès qu’il en a l’occasion, c’est ce que pense son équipe, qui subit sa mauvaise humeur, c’est ce que pense son amie, qui le quitte – ce qui, vous l’aurez deviné, n’améliore pas son humeur -. Et il finit même par agacer ses lecteurs – en tout cas, c’est l’effet que cela m’a fait. Ses deux adjointes, qu’il a réussi à faire nommer commandantes, finissent même par douter de lui. Et c’est surtout ce fil que l’on suit, en réalité, mais dans lequel on découvre surtout comment on peut essayer de se dézinguer entre soi, chez Europol… ce n’est pas ce que j’attendais !

Et, cerise sur le gâteau, icing on the cake, comme dirait nos amis anglais, le livre se conclut comme il a commencé : le fin mot de l’histoire nous est déballé à la va-vite, en 10 pages, alors que Deniz Salvère met devant le fait accompli son chef et pourtant ami, mais qu’il a consciencieusement tenu en dehors du coup, et qui en conçoit un assez vif agacement. Et nous aussi, lecteurs, il ne nous a été donné aucun indice, et nous voilà, nous aussi, devant le fait accompli. Vif agacement pour nous également ! On découvre que le rôle des enfants est en réalité négligeable. Finalement, on n’a rien appris sur la façon dont l’extrême-droite – et éventuellement tous les autres partis – tente de manipuler les opinions. Et, là, on se dit : and so what ?

Bref, qu’il s’agisse d’un passage à côté, que j’ai lu ce livre à un mauvais moment, je ne peux évidemment pas le conseiller, en toute bonne foi. Mais peut-être d’autres lecteurs, en ayant fait une autre lecture que moi, auront-ils envie de proposer des points de vue plus favorables ? N’hésitez pas !

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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