Policiers, Roman noir

La fabrique de la terreur

Chronique de La fabrique de la terreur, de Frédéric Paulin.

« La Turquie est un acteur incontournable dans la région, les Occidentaux sont bien obligés de faire avec. Pantani sent venir le moment où les Kurdes, fêtés en Europe comme des héros, seront lâchés par ceux-là même qui les encensent aujourd’hui. »

Frédéric Paulin, La fabrique de la terreur, Agullo Éditions, 2020, p. 280.

Motivations initiales

Quand vous avez aimé les deux premiers tomes d’une trilogie les chroniques du tome 1 est ici, du tome 2, ), est-il encore besoin de « motivation » pour acheter et lire le troisième ? Évidemment non. Donc la question ne s’est même pas posée…

Synopsis

À la fin de Prémices de la chute, on quittait les personnages de la trilogie en 2001, au moment des attentats du 11 septembre. Un saut dans le temps nous amène, au début de La fabrique de la terreur, en 2010. Et on attaque directement, avec Mohamed Bouazizi, un jeune tunisien, marchand ambulant qui, à l’issue d’une ultime humiliation de la part de la police, décide d’en finir. Il s’immole par le feu. Il l’ignore, mais son sacrifice sera à l’origine de la chute de Ben Ali, puis, par extension, par contagion, alimentera le « Printemps arabe ».

Mais déjà, des groupes islamistes agissent, certains au grand jour, comme le parti Ennahdha, d’autres dans l’ombre. Ils entendent bien profiter de l’agitation et des contestations pour pousser leurs idées… et le mécontentement des laissés-pour-compte leur facilite la vie.

Dans les banlieues françaises aussi, la situation est en train de s’enkyster. À Lunel, le prosélytisme gagne du terrain : Simon, séduit par ce que ses amis lui ont fait découvrir de l’islam, s’est converti. Et déjà, certains parlent de quitter la France, de partir pour vivre en vrais croyants…

Laureline Fell, elle, dirige l’antenne régionale de la DCRI, à Toulouse. Elle est inquiète : les frères Merah, Abdelkader et Mohamed, surveillés par ses équipes, lui donne du souci, même si, à Paris, on ne prend pas au sérieux ses avertissements. Sa soupape de décompression, ce sont les week-end où elle part retrouver, dans sa maison de Pontempeyrat, Tedj Benlazar. Ce dernier a pu revenir en France, et il profite de son temps libre pour retaper la maison.

Vanessa, la fille de Tedj, a quitté Le Parisien. Elle vit avec Réif Arnotovic, et se partage entre sa vie de famille et les reportages qu’elle fait en indépendante, essentiellement dans les pays arabes. Mais ses départs incessants ne sont pas sans peser sur l’ambiance familiale…

Avis

Tout le talent de Frédéric Paulin semble être, lorsque l’on considère cette trilogie, de se fondre dans son sujet. L’écriture de La guerre est une ruse n’est pas la même que celle de Prémices de la chute, et toutes les deux diffèrent encore de la façon dont est organisé et écrit ce troisième opus, La fabrique de la terreur. Peut-être est-ce, au moins en partie, lié au fait que l’on est de plus en plus proches des événements, puisque ce dernier tome couvre la période allant de 2010 à 2015, avec les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, en janvier, et ceux du Stade de France, des terrasses et du Bataclan en novembre. Et cette plus grande proximité rend probablement plus difficile la prise de recul.

Dans la chronique de La guerre est une ruse, j’évoquais une description clinique de la situation. Ici, on n’est plus dans le clinique : on est davantage dans l’émotion. Et là où, dans la première partie, c’est au travers des personnages et de leur évolution que Frédéric Paulin créait l’émotion, ici on a le sentiment que nos épidermes sont encore tellement à vif…

Et si je devais décrire en un mot ce livre, je dirai que je l’ai reçu comme le roman du désarroi. Désarroi des hommes et des femmes : de Tedj, en retraite forcé, obsédé par des cauchemars qu’il ne maîtrise plus ; de Laureline, qui se sent écartée, vieille, dépassée ; de Réif, séparé de Vanessa, devenu professeur à Lunel, où il est confronté à l’opposition de plus en plus forte des communautés ; mais aussi, au fur et à mesure du livre, de plusieurs personnages partis vivre leur foi musulmane et qui découvrent une réalité qui les heurte.

Mais le désarroi est aussi celui des institutions. La DCRI, créée par Nicolas Sarkozy de la fusion des Renseignements généraux et de la DST, montre ses insuffisances, mais aussi comment sa création, mal préparée, a surtout provoqué une perte de « mémoire ». Le service Action de la DGSE également, représenté dans le livre par le capitaine Pantani, mesure sur le terrain tout le décalage entre les discours politiques et la réalité du terrain. La citation initiale, dans laquelle Pantani annonce le lâchage des Kurdes par les Occidentaux, montre bien comment ces hommes étaient en porte-à-faux.

Désarroi, enfin, des sociétés. En Europe, dans les banlieues, des jeunes désœuvrés, désabusés, découragés, à qui des groupes islamistes proposent un chemin ; de l’autre côté de la Méditerranée, des pays qui, après avoir subi le joug des colonisateurs, ont été saignés à blanc par des autocrates. Tout cela a fabriqué cette terreur, que chacun ressent mais dont personne ne sait comment sortir. Alors les vieux réflexes reviennent, la peur engendre la violence, quand on n’a plus rien à perdre…

On n’imaginait pas une fin heureuse. Frédéric Paulin ne nous la joue pas à la Disney, c’est le moins que l’on puisse dire. Chacun avance vers l’inexorable destin qui nous attend tous…

J’ignore d’où l’auteur tire ses informations, notamment sur l’état des services, le moral des troupes, la vision désenchantée incarnée par Pantani. Mais, dans tous les cas, mention spéciale doit être faite sur la précision des situations, des sources : probablement un gros travail de recherche !

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