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Bandit

Le terme « bandit » ne retient habituellement pas notre attention bien longtemps. Et si nous percevons immédiatement son côté largement polysémique – le bandit peut être brutal, inquiétant, mais aussi tendre voire éminemment romantique –, nous ne nous y attardons pas forcément. Pourtant, dès que l’on s’intéresse d’un petit peu plus près à cette « figure », plusieurs curiosités nous retiennent.

D’abord, ce mot a beaucoup de synonymes. En effet, en français, nous disposons de nombreuses manières de parler de ce personnage, couvrant toute la gamme de la violence – allant de gangster, écorcheur, assassin, criminel, meurtrier jusqu’à crapule, chenapan, vaurien ou sacripant –, mais également tous les niveaux de langue – de voleur à arsouille, d’escroc à apache, de scélérat à fripouille, de malandrin à carambouilleur –. Parfois, on vise une activité bien précise – flibustier, pirate, forban, corsaire –, parfois davantage un lieu dont seraient issus les-dits voyous – brabançon, clepthe… –.

En réalité, le bandit, et notre regard sur lui, sont toujours ambigus. Initialement, vers 1350, le brigand est un « soldat à pied faisant partie d’une compagnie » (CNRTL, page Brigand, section Étymologie et histoire). Mais très vite, le mot désigne un soldat rattaché à une troupe, ou à une bande, n’appartenant pas à une armée régulière. Barante, dans le tome 3 de son Histoire des ducs de Bourgogne, décrit la transformation progressive des paysans bourguignons qui, lassés de ne pas être protégés, demandent à pouvoir s’armer. Ainsi équipés de mauvaises piques et de bâtons, ils se mettent à traquer les Armagnacs. Mais, petit à petit, ils ne se contentent plus de ces seules cibles : « lorsqu’ils furent aguerris dans leur métier de vagabonds, ils dévalisèrent tous les passans » (p. 219). Ainsi, le brigand et tous ses avatars peuvent incarner le mal, le dévoiement des règles, celui qui, en marge de la société, s’oppose à la société et à ses règles, et que cette dernière pourchasse et – quand c’est possible – punit. Et, déjà là, le côté double apparaît : cette opposition à la société peut être violente et aveugle, mais également empreinte de noblesse et rébellion contre l’injustice. C’est l’éternelle opposition entre résistance et terrorisme, en fonction de l’angle de vue…

Cela n’est évidemment pas uniquement un fait bourguignon : Mathias Ledroit décrit un phénomène comparable pour expliquer l’apparition de la figure du « bandit catalan ». Dans « Le stéréotype du bandit catalan dans la littérature espagnole du siècle d’or » (Cahiers de narratologie, n°17, 2009), il reprend en effet la définition figurant dans le Tesoro de la lengua castellana de Sebastián de Covarrubias, qui décrit le bandolero comme celui qui échappe à ses ennemis en se réfugiant dans la montagne et qui, s’il vit de rapines, ne tue pas ses victimes par noblesse d’âme. Pourtant, la suite de la définition illustre immédiatement l’ambiguïté, en précisant que « D’autres bandouliers sont en revanche des bandits de grands chemins qui ne se contentent pas de dépouiller les voyageurs, mais qui les maltraitent et les tuent ».

Eric J. Hobsbawm, l’historien britannique, a également beaucoup travaillé sur la question du banditisme, insistant sur la dimension de rébellion qui s’y rattache. Il fait en effet du banditisme, notamment dans les provinces les plus éloignées, la réaction du peuple aux abus de pouvoir, ou à la pression fiscale trop forte, imposés souvent par des potentats venus des centres de pouvoir. Il appelle ces acteurs les « bandits sociaux », inspirés, de près ou de loin par la figure de Robin des bois. Et il s’appuie sur divers exemples européens (les bandits d’honneur sardes, corses, albanais, siciliens, espagnols), mais également plus lointains : en Inde, les Dacoïts, en Europe centrale, les Haïdoucs, au Mexique, les Mescaleros, dans le Nordeste (Brésil), les Cangaceiros. Mais les critiques de son analyse – dans laquelle certains retrouvent surtout les marques de son engagement fort auprès du parti communiste – ne manquent pas.

Gilles Malandain propose, pour sa part, de très intéressantes « Réflexions sur l’image du voleur au XIXe siècle » en conclusion de Au voleur ! Images et représentations du vol dans la France contemporaine, paru en 2014 (Publications de la Sorbonne, p. 305-314). En s’appuyant largement sur la littérature, il insiste sur le glissement d’un voleur sanguinaire à un voleur « astucieux », au cours du XIXe siècle. Dans la littérature de fiction qui se développe alors, on voit des aigrefins romantiques apparaître : Vautrin, dans la Comédie humaine de Balzac – qu’il soit ou non inspiré du personnage de Vidocq –, est « un des personnages les plus étrangement fascinants » de la série, comme le signale Olivier Bara (« Voir Vautrin : la vérité du type balzacien, entre roman et théâtre », dans La relecture de l’oeuvre par ses écrivains mêmes, 2012). Et on ne peut pas oublier que Victor Hugo, dans Les Misérables, met lui aussi en scène un forçat récidiviste et néanmoins au grand coeur, Jean Valjean. Et des figures historiques servent de support à cette « admiration », comme Cartouche, Mandrin, Marion du Faouët, qui deviennent des personnages mythiques !

Issue de la vraie vie, la figure du voleur, du bandit, a en effet largement infusé la littérature, comme le montrent les nombreuses études qui ont été consacrées au sujet. Au-delà du travail de Mathias Ledroit cité précédemment, on peut signaler également « Le personnage du brigand dans la littérature populaire en Provence : théâtre, romans, complaintes », d’Albert Giraud (Provence historique, n°149, 1987), ou Figures du refus et de la révolte dans la littérature contemporaine en Suisse (Actes du 9e colloque de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales, 1986), par exemple.

Le brigand dans nos lectures

Les brigands ne manquent pas dans nos lectures : c’est en effet l’une des figures possibles du méchant. Et on sait que pour que l’on ait une bonne histoire, il faut souvent un bon méchant. Bien que nous n’ayons pas lu les livres, c’est l’idée à la base des James Bond : plus le méchant est tortueux et machiavélique, plus celui qui s’y oppose apparaît comme héroïque. On peut, dans ce type de schéma, penser au méchant de Luca di Fulvio dans Le soleil des rebelles, qui met en scène un seigneur brutal et sans conscience, qui torture, viole, opprime pour son seul plaisir, et se comporte donc en véritable bandit, face auquel des rebelles n’ont d’autre choix que d’entrer dans la clandestinité.

Ainsi, dans les romans policiers, le bandit est celui que l’on recherche ; et, comme le héros l’emporte toujours à la fin, le bandit finit toujours capturé, jugé, condamné. Agatha Christie (Les vacances d’Hercule Poirot, Meurtre en Mésopotamie, Le crime de l’Orient-Express, pour ne citer que ceux qui ont été récemment chroniqués ici dans le cadre du challenge #jelisagathachristie), Peter Aspe (avec son inénarrable commissaire Van In, à découvrir dans le premier tome de la série, Le carré de la vengeance), Georges Simenon (avec le commissaire Maigret) sont des incontournables, mais on peut également penser à ceux qui leur emboîtent le pas – Marc Voltenauer (Le dragon du Muveran, Qui a tué Heidi ?, L’aigle de sang), Nicolas Feuz (Horrora borealis, Le miroir des âmes, et le petit dernier, L’ombre du renard)…

Mais avec la mode des anti-héros, on a vu se multiplier les livres dans lesquels le bandit est présenté sous un autre angle. Parmi les « classiques » du genre, il y a naturellement la série de Maurice Leblanc, mettant en scène Arsène Lupin (L’aiguille creuse en est l’un des plus connus). Cela avait sans doute inspiré Serge Brussolo, voilà quelques années, lorsqu’il a écrit sa série mettant en scène Conan Lord, un cambrioleur (Carnets secrets d’un cambrioleur, et Le pique-nique du crocodile).

Mais c’est dans le domaine de la fantasy, et, en particulier, dans les romans médiévaux-fantastiques, que l’on retrouve souvent de ces bandits, et, probablement, les plus attachants. Comment oublier, en effet, Silk, l’un des personnages de David Eddings dans Le pion blanc des présages, espion, voleur, menteur, tricheur, et bien davantage encore ? Ou Benvenuto Gesufal, le spadassin créé par Jean-Philippe Jaworski et autour duquel s’organise l’histoire de Gagner la guerre (à découvrir en livre ou en bande-dessinée) ?

On peut – on doit ? – aussi penser à plusieurs personnages de Game of thrones : le Chevalier oignon, Ser Davos Mervault, mendiant puis contrebandier avant de devenir un des soutiens de Stannis Baratheon ; le pirate lysien Sladhor Saan ; Lord Varys, le maître-espion, naturellement ; et, par dessus tous, Petyr Baelish, intrigant, retors, manipulateur et sournois…

Robin Hobb a également sacrifié à ce procédé, en développant sa série L’assassin royal, dans laquelle on suit les aventures de Fitz Chevalerie, bâtard du roi, formé pour devenir un assassin, chargé des basses œuvres pour le compte de sa famille.

On peut, enfin, signaler Fabien Cerutti, dont le personnage central est Pierre Cordwain de Kosigan – le bâtard de Kosigan –, chef d’une compagnie de mercenaires dont il met à profit les capacités surnaturelles au service du plus offrant. Ce grand manipulateur – nous ne parlons pas de l’auteur ! – n’hésite pas, quand cela peut lui rapporter, à jouer sur plusieurs tableaux…

On le voit, le bandit, qu’il soit impitoyable et brutal ou romantique et séduisant, a de beaux jours devant lui dans la littérature…

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